L’économie est une chose beaucoup trop sérieuse pour qu’on la laisse entre les seules mains des financiers. Tel est l’enseignement que nombre d’observateurs ont tiré de la crise financière qui secoue actuellement le monde. Du moins, pour être plus juste, qui touche les pays développés, car, selon les experts, spécialistes et fins connaisseurs, l’Afrique est à l’abri, les banques africaines n’étant pas suffisamment dépendantes du système bancaire international.
Mais si cela avait été le cas, on se demande comment les hommes d’Etat africains auraient agi. Auraient-ils seulement réagi ? Difficile de le croire, quand on sait qu’en Occident, ce sont les politiques qui ont volé au secours des économistes.
Il a fallu des solutions politiques à la crise financière. La France, dont dépendent financièrement et monétairement plusieurs pays africains, a déposé 360 milliards d’euros sur la table. L’Europe, plus de 1500 milliards. Les Etats-Unis, ce pays par où le scandale est arrivé, a promis plus de 700 milliards de dollars. Tous ces pays craignent d’affronter une récession qui est loin d’avoir été conjurée par toutes ces mesures draconiennes.
La crise financière internationale a eu quand même le mérite de remettre sur le plateau un vieux débat qui a longtemps divisé les autorités politiques et financières. Les premières doivent-elles laisser les secondes en faire à leur guise ? Autrement dit, le libéralisme doit-il être intégral au point d’exclure toute intervention des dirigeants politiques ? Non, a répondu la crise. Et pourtant, ces donneurs de leçons d’occidentaux ont, pendant très longtemps, exigé des pays pauvres à privatiser leur patrimoine public.
Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont imposé aux pouvoirs politiques d’Afrique et d’ailleurs de se débarrasser des sociétés et entreprises d’Etat, souvent en les bradant, toujours en faisant des centaines voire des milliers de chômeurs, de sans-emploi, de sans abris, de sans ressources. Ces deux institutions ont créé en Afrique, et ailleurs, une nouvelle race de clochards, à cause de plans d’ajustement structurel.
Ces fameux PAS qui n’ont jamais cessé d’alimenter la grogne et la fronde des altermondialistes, lesquels n’ont jamais cessé de contester le bien-fondé de telles mesures. Aujourd’hui, ces défenseurs de la possibilité d’un autre monde doivent-ils pour autant se gausser de ce à quoi ils assistent en Occident ? Certainement pas. Au contraire, ils sont en colère.
Parce que, il ya juste quelques mois, ils étaient montés au créneau pour demander à ces pays opulents d’aider les pays pauvres à faire face à la crise alimentaire, au surenchérissement des coûts des intrants agricoles, à la hausse du prix des hydrocarbures. Ils ne demandaient même pas le dixième de ce que l’Europe vient de promettre à ces banques. Mais c’est des miettes que leurs gouvernements respectifs ont reçu en échange, en plus des vagues promesses jamais tenues, et des sermons paternalistes.
Juste retour des choses, aujourd’hui ce sont leurs pauvres à eux, ces malheureux à qui on a accordé des prêts hypothécaires tout en sachant qu’ils ne pourront jamais rembourser, ce sont donc ces pauvres qui sont à la base des malheurs des riches et cupides banquiers. Eux ils peuvent jubiler, même s’ils ont été délestés de leurs maisons et se retrouvent dans la rue.
D’autres pauvres, à des milliers de kilomètres de là, eux n’ont pas choisi la rue pour se manifester. Ils ont préféré la grève de la faim. Cela se passe ici, au Mali. Une grande première ? Même pas. Ici, point n’est besoin de faire la grève pour avoir faim. Car la faim est récurrente. Des opérateurs économiques, à qui l’Etat a pourtant fait des faveurs en les exonérant de certaines taxes d’importation, continuent à affamer la population. En pratiquant des prix de plus en plus prohibitifs. Sur le riz, le mil, le lait, le sucre, l’huile. Bref, sur tout ce dont les Maliens ont besoin au quotidien.
Pour en revenir aux grévistes de la faim, l’on perçoit mal leur courroux. Ils s’appellent Association des jeunes volontaires de l’Agence pour la promotion de l’emploi des jeunes (AJVA). Ils disent être victimes d’injustice et d’exclusion. De qui ? De l’Etat, bien sûr. Comment ? Ils n’ont pas été recrutés comme conventionnaires ou fonctionnaires dans les services publics et parapublics. Pourtant, ils estiment qu’après avoir effectué un stage de pré qualification de plus de trois ans dans des structures de l’Etat, ils avaient le droit d’être intégrés. En voilà des jeunes qui ont un sérieux et urgent besoin d’être déniaisés.
Ce qu’ils doivent savoir, c’est que, premièrement, depuis des lustres, les institutions de Brettons Wood ont interdit aux pays africains, et d’ailleurs, de jouer à l’Etat-providence ; deuxièmement, que grâce à l’Etat, ils ont bénéficié de stages leur permettant de voler de leurs propres ailes, les pouvoirs publics pouvant financièrement les aider en cela ; troisièmement, que le deuxième programme de volontariat devrait permettre à d’autres jeunes comme eux d’acquérir une somme d’expériences, et, enfin quatrièmement, que si la constitution consacre le droit à l’emploi pour tous, il n’est pas un devoir pour l’Etat de recruter tout le monde. En outre, ces jeunes doivent comprendre que la jeunesse n’est pas éternelle et, que, munis d’un diplôme et d’une somme d’expérience, il est grand temps de se mettre au travail.
Cheick Tandina
20 Octobre 2008