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A Son Excellence

Monsieur Blaise Compaoré

Président du Faso

Médiateur de la Cédéao au Mali,

Monsieur le président,

J’ai l’honneur de vous soumettre ce qui suit :

Le Front uni pour la sauvegarde de la démocratie et de la République (FDR) qui regroupe 38 partis politiques (136 députés sur 147) et 60 organisations de la société civile a été créé au lendemain du coup d’Etat du 22 mars 2012 pour exiger la restauration de la légalité constitutionnelle et le retour des militaires mutins dans leurs casernes.

Le FDR exprime sa profonde gratitude aux chefs d’Etat et aux peuples de notre région pour la solidarité fraternelle exprimée par la Cédéao à l’endroit du peuple malien à l’occasion des graves crises que traverse notre pays.

Dans le souci de contribuer à une solution de sortie de crise pacifique et constitutionnelle, le FDR a l’honneur de soumettre au médiateur de la Cédéao les observations ci-dessous formulées et valant propositions :

1. Le FDR se félicite de la conclusion de l’accord-cadre intervenu entre le médiateur de la Cédéao et le CNRDRE en ce qu’il consacre le retour à l’ordre constitutionnel qu’il avait réclamé dès les premières heures du coup d’Etat.

2. Il salue la mise en œuvre de l’article 36 de la Constitution du 25 février 1992.

3. Toutefois, il observe que l’accord-cadre s’articule sur deux points qui, à première vue, apparaissent contradictoires.

En effet, si le chapitre 1erde l’accord consacre le retour à l’ordre constitutionnel, le chapitre II préconise des mesures qui rompent avec cet ordre.

4. Au-delà de 40 jours, l’institution présidentielle disparaît dans l’accord-cadre. De nouvelles institutions sont alors créées qui sortent du cadre constitutionnel : le Premier ministre de transition chef du gouvernement avec pleins pouvoirs et le gouvernement d’union nationale de transition.

5. Cette situation exceptionnelle conduit à mettre en place un régime parlementaire de type nouveau puisque tous les pouvoirs appartiennent au Premier ministre, ce qui n’est pas prévu par la Constitution du 25 février 1992. Il n’est pas indifférent de rappeler que le régime politique mis en place par ladite Constitution est un régime semi-présidentiel dans lequel, la fonction de chef de l’Etat ne peut être assurée par un chef de gouvernement.

L’accord-cadre occulte la fonction de chef de l’Etat pendant la transition. Il nous paraît important de préciser qu’en aucun cas, cette fonction ne peut être assumée par la junte militaire, une telle éventualité n’étant ni conforme à la Constitution désormais restaurée ni à l’engagement solennel pris le 1er avril 2012 par le chef de la junte.

6. Il est souhaitable de réconcilier avec la Loi fondamentale, toute nouvelle construction institutionnelle de transition conformément à l’article 121 alinéa 1 de la Constitution qui dispose : « Le fondement de tout pouvoir en République du Mali réside dans la Constitution« .

7. L’article 5 de l’accord-cadre ouvre la voie à une telle solution lorsqu’il stipule que « compte tenu des circonstances exceptionnelles que vit le pays, du fait de la crise institutionnelle et de la rébellion armée dans le Nord, qui ont gravement affecté le fonctionnement régulier des institutions de la République et dans l’impossibilité d’organiser les élections dans un délai de quarante jours comme le stipule la Constitution, il s’avère indispensable d’organiser une transition politique devant conduire à des élections libres, démocratiques et transparentes sur l’ensemble du territoire national« .

8. La Constitution dans son article 85, alinéa 2, dispose que la Cour constitutionnelle est « l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics« . Aussi lorsque le fonctionnement régulier des institutions est affecté, c’est la mission de la Cour de veiller au rétablissement de leur fonctionnement régulier.

9. C’est pourquoi, avant la mise en place des institutions de la transition telles que prévues au chapitre II de l’accord-cadre, le FDR propose que le président de l’Assemblée nationale, en sa qualité de président de la République par intérim, saisisse la Cour constitutionnelle en s’appuyant sur une lecture combinée des articles 29 et 85 de la Constitution du 25 février 1992.

10. L’article 29 de la Constitution qui reste applicable même en cas de mise en œuvre de l’intérim du président de la République, dispose que :

« Le président de la République est le chef de l’Etat.

Il est le gardien de la Constitution. Il incarne l’unité nationale. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, du respect des traités et accords internationaux. Il veille au fonctionnement régulier des pouvoirs publics et assure la continuité de l’Etat« .

11. Ces attributions demeurent intactes même en cas d’intérim. Veiller au fonctionnement régulier des pouvoirs publics et assurer la continuité de l’Etat, garantir l’intégrité territoriale imposent au président de la République par intérim l’obligation de prendre les mesures indispensables afin d’éviter la rupture de la continuité de l’Etat et du fonctionnement régulier des pouvoirs publics d’une part, et de restaurer l’intégrité territoriale du Mali, d’autre part.

12. A cet effet, il est fondé à saisir la Cour constitutionnelle sur la base des articles 29 et 85 de la constitution pour demander son avis sur :

– La prorogation du mandat du président de la République et des autres institutions, notamment l’Assemblée nationale, le Haut conseil des collectivités, le Conseil économique, social et culturel, pour le temps nécessaire à la transition.

– L’élargissement des missions des institutions de la transition au règlement du conflit du Nord en plus de l’organisation des élections.

– La nomination d’un Premier ministre de consensus, chef du gouvernement et d’un gouvernement d’union nationale de transition.

– La feuille de route de la transition telle que visée à l’article 6 de l’accord-cadre.

13. L’avis conforme de la cour constitutionnelle sur ces questions permettra de mettre en place une transition conforme à la Constitution. Cette solution est d’autant plus convenable que la Cour constitutionnelle est la seule institution habilitée à interpréter la Constitution et que ses décisions sont sans recours et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ainsi qu’à toutes les personnes physiques et morales conformément à l’article 94 de la Constitution.

14. La place et le rôle des membres du CNRDRE devant faire l’objet d’un accord entre le président de la République par intérim, le médiateur et le CNRDRE, le président de la République par intérim, chef suprême des armées, prendra les mesures convenues au titre des articles 44 et 46 de la Constitution. Il saisira également l’Assemblée nationale d’une loi d’amnistie en application de l’article 44 de la Constitution.

15. L’amnistie demandée dans l’accord-cadre pour les membres du CNRDRE et associés, doit être conditionnée à la dissolution ainsi que la nullité de tous les actes qu’ils ont posés (acte fondamental, décrets, ordonnances, décisions, etc.)

16. Le Front uni pour la sauvegarde de la démocratie et de la République (FDR) invite respectueusement les chefs d’Etat de la Cédéao et le médiateur à veiller effectivement au retour des mutins dans les casernes pour tourner définitivement la page du coup d’Etat du 22 mars 2012.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le président du Faso, l’expression de ma très respectueuse considération.

Bamako, le 8 avril 2012

Pour le FDR

Le président

Siaka Diakité

(secrétaire général de l’Union nationale des travailleurs du Mali)

Les Echos du 17 Avril 2012