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Contrairement à beaucoup d’anciennes colonies, l’indépendance n’a pas été octroyée au Mali par l’ancienne puissance coloniale (France). Elle a été plutôt arrachée de haute lutte par les fils et les filles de cette nation, berceau de la vaillance et de la bravoure. Mais, 48 ans après, bien de questions se posent aujourd’hui sur l’effectivité de cette indépendance. Dans les faits, le Mali est souverain. Est-il pour autant indépendant ? Décide-t-il souverainement de ses options politiques et socioéconomiques… ?

Cette dernière question est d’autant importante qu’elle fût l’une des grandes préoccupations des pères de notre indépendance. « Je suis de ceux qui pensent que l’Afrique que nous voulons doit se construire en dehors des nations colonisatrices qui ne peuvent pas présider à notre unification ayant été les artisans de notre division », avait déclaré le regretté président de la Ire République du Mali, Modibo Kéita (1915-1977) en avril 1962.

A quoi sert la souveraineté politique sans l’indépendance économique ? A rien ! C’est ce qu’avaient compris les premiers dirigeants du pays qui avaient assumé leur devoir historique dans un environnement austère. Un véritable défi à l’époque.

Les premiers actes qu’ils ont posés visaient à donner à ce jeune Etat les moyens d’assumer son nouveau statut de nation libre. Ils ont mis l’accent sur la production à grande échelle et l’industrialisation afin de booster la consommation nationale. Au moment de l’indépendance, l’industrie malienne était pourtant inexistante car l’industrialisation du pays n’était pas une priorité du colonisateur.

Le président Modibo Kéita et son équipe vont alors s’atteler à la création de plusieurs petites industries : sucrerie, rizerie, cimenterie, usine céramique, manufacture de tabacs et d’allumettes, tannerie, usine de textile, abattoir frigorifique, huilerie conserverie, etc.

Ainsi, pour favoriser l’indépendance économique du Mali, une quarantaine de sociétés et entreprises d’Etat (Société des conserves du Mali, Société d’exploitation des produits oléagineux du Mali, Société malienne d’importation et d’exportation, Société malienne du bétail, des peaux et cuirs, Société nationale de recherche et d’exploitation minière, Compagnie malienne des textiles, Société équipement du Mali…) ont vu le jour entre 1960 et 1967.

Et pour mieux affirmer la souveraineté nationale, le franc malien fut créé le 1er juillet 1962. La jeune République venait ainsi de rompre tout lien de domination et de dépendance économiques avec la France. Elle entrait de plain-pied dans un projet socialiste qui, s’il avait été exécuté à fond, aurait peut-être permis au Mali d’être la Chine de l’Afrique.

Ce qui est sûr, si l’option agricole et industrielle prise à l’indépendance avait été poursuivie, notre pays serait sans doute à l’abri de certaines difficultés dramatiques que nous subissons aujourd’hui. Avec l’africanisation des cadres et la création des sociétés et entreprises d’Etat, les premiers dirigeants du Mali indépendant entendaient rendre aux Maliens la maîtrise de leur destin.

Un destin qui nous a échappé depuis la rupture du 19 novembre 1968. On ne mesurera jamais assez le mal que le coup d’Etat militaire a fait à ce pays. Ce putsch a été l’une des plus sérieuses hypothèques à l’affirmation de notre souveraineté politique et de notre indépendance socioéconomique.

Les premiers dirigeants du Mali indépendant nourrissaient la noble ambition d’améliorer le niveau de vie des Maliens. Ils voulaient affirmer la souveraineté totale du pays et débarrasser le peuple des séquelles du colonialisme. Ils avaient fait un diagnostic fiable pour parvenir à ce constat.

« On peut classer les difficultés rencontrées par les Etats africains en deux grandes catégories. Il y a des difficultés structurelles qui tiennent à l’organisation de certains Etats, à leur administration, à leur vie économique. Il y a ensuite les difficultés conjoncturelles liées aux séquelles de la colonisation. Ce n’est pas du jour au lendemain qu’on est en mesure de résoudre de telles difficultés… » , disait le président Modibo Kéita (paix à son âme) dans une interview accordée à Jeune Afrique en 1966.

Hélas ! Les jeux d’intérêts personnels ou claniques ont eu raison de tous les acquis des premières années d’indépendance. Les maillons forts de l’économie ont été détournés au profit de quelques personnes et de leurs familles ou clans. Vidées de leur substance, les unités industrielles ont fait faillite.

Les survivantes sont maintenant privatisées, basculant le Mali dans le giron du libéralisme sauvage et inhumain. La politique agricole a été noyée dans des stratégies démagogiques ou imposées par les ténors du néocolonialisme. Et petit à petit, le pays s’est éloigné de son indépendance, surtout économique. Comment un pays qui importe entre 80 et 90 % de ses besoins vitaux peut-il revendiquer sa souveraineté dans le concert des nations ?

Nous avons été affranchis par les pères de notre indépendance avant d’être asservis par les régimes qui ont suivi. Même la démocratie qui avait suscité tant d’espoir n’est pas parvenue à nous redonner cette indépendance. La faute à qui ? A nous tous ? Beaucoup moins à notre génération qui a trouvé que les dés étaient presque jetés.

« L’avenir du Mali, ce n’est pas ceux qui viennent de prendre le pouvoir à Bamako. L’avenir du Mali, c’est vous » , avait dit Modibo Kéita aux jeunes de Koulikoro le 19 novembre 2008 avant de regagner Bamako où l’attendaient les putschistes. Un espoir fortement déçu !

Alphaly

Les Echos du 19 Septembre 2008