Né à Kayes en 1942, Boubacar Traoré dit Kar Kar grandira dans sa ville natale située à des kilomètres de Bamako. À la fin des années 1950, à l’air du régime de Modibo Keïta, tout commence pour ce musicien pétri de talents dont le savoir n’est plus à démontrer. Au début des années 1957-1958, Boubacar se lance dans le théâtre à Kayes, avant de débuter secrètement l’apprentissage de la guitare, en prenant en cachette celle de son grand frère qui a fait huit ans d’études musicales à Cuba et ne voit pas d’un très bon œil le fait que le petit frère utilise son instrument.
Très tôt impressionné par ce que fait son aîné qui a une bonne maitrise dans l’afro-cubain., Boubacar affirme qu’il ne veut « pas mourir sans connaître la musique ». En 1960, il devient tailleur-coupeur à Bamako Courra puis démarre dans un groupe de huit musiciens, les Pionniers Jazz. Avec ce groupe, Kar Kar multiplie les concerts Jazz, rumba, mérengué, hula-hoop, cha-cha-cha, twist, madison. Le mythique Buffet de la gare de Bamako entend toutes sortes de musique, revisitées par l’âme malienne de Traoré.
A l’éclatement de la Fédération Sénégal-Mali en 1961, un vent d’indépendance souffle sur toute l’Afrique de l’Ouest. Un des seuls moyens de diffusion de la musique à l’époque étant la radio, Kar Kar compose à un rythme effréné et son passage à Radio Mali, en 1963, dans l’émission « Les Auditeurs du Dimanche », lui donne une notoriété absolue. Dans cette émission, il chante huit chansons, dont ‘’Mali Twist et Kayeba’’, pour exhorter à la reconstruction du pays. Ces deux chansons connaîtront par la suite, un succès foudroyant et la réputation de l’enfant de Kayes va alors se répandre comme une traînée de poudre.
« Le peuple malien m’aimait. J’étais son Johnny Hallyday, son James Brown, mais je n’avais même pas de quoi me payer des cigarettes ! » se souvient l’artiste. Star incontestée des grins, les petits clubs locaux et porté aux nues, en icône yé-yé, Kar Kar mène une véritable vie de bohème, la musique ne nourrissant pas son homme. En 1967, il marque un tournant dans sa carrière ou : « la révolution culturelle a apporté beaucoup de changements, mais moins de libertés. On ne pouvait plus rester dans la rue, les filles ne pouvaient plus s’habiller comme elles le voulaient et les soirées étaient réglementées ».
Ne trouvant pas de repère dans cette restriction de liberté avec le nouveau régime de Moussa Traoré, Boubacar Traoré s’installe à Nioro, l’un des 7 cercles de la région de Kayes en tant qu’ouvrier-agricole. L’oubli de son talent et de sa notoriété se fait de plus en plus grandissant dès son retour à Kayes où il vend avec son frère, toutes sortes d’articles de 1974 à 1988 sans faire de musique.
‘’Si tu es marié et que tu as des enfants, tu ne peux pas faire de la musique, parce que tu ne gagnes pas d’argent’’. Le silence du rossignol de la musique kayesienne durera près de 20 ans. Déjà en 1981, Kar Kar est frappé par la mort de son frère. Le Mali tout entier rentre alors dans une confusion mémorable : tout le monde pense que c’est Kar Kar, et non son frère, qui vient de s’envoler vers de lointaines contrées célestes. Le mythe prend forme.
En 1987, des journalistes de Bamako le retrouvent, par hasard, éberlués, et il accepte de donner une interview pour la télévision, en direct. Ce fut l’explosion du standard téléphonique de la chaîne ; « les gens me demandaient pourquoi on montrait l’image de Kar Kar qui était mort ! »
L’heure de la relance et de la résurrection dans tous les sens du terme, a sonné. Boubacar Traoré enregistre en 1989 la cassette ‘’Mariama’’ qui se vend paradoxalement assez mal à cause d’une confusion perdurant sur sa mort. Kar Kar est un mythe vivant, Boubacar Traoré n’est qu’un chanteur malien mais est approché par le label anglais Stern’s Africa qui réussit la liaison entre les deux entités en ressortant ses morceaux d’anthologie sur compact disque, de Mariama à Kar Kar. Le destin tourne enfin du bon côté. Il enchaine les concerts dans le monde entier avant de s’installer avec toute sa famille sur un terrain proche de Bamako, récemment acheté avec ses royalties. Manque à l’appel son frère, et surtout, Pierrette, sa femme, décédée en 1989, sans qui la vie n’a plus le même goût.
De Sécheresse à Maciré, en passant par Sa Golo, ses derniers disques sortis en Europe ont été salués avec enthousiasme par le public. Douceur létale du chant, swing tellurique et fluide des lignes de guitare, poésie du silence : jamais, depuis l’immense disque d’Ali Farka Touré et de Ry Cooder, on n’avait entendu blues plus simple et subtil, triste et serein. Si Ali Farka Touré est la réponse malienne à John Lee Hooker, Boubacar Traoré en est le Robert Johnson.
Entre déboires et malchance, tristesse et disparition précoce de ses proches, Kar Kar a su mener droit sa barque, en imposant définitivement au monde son blues poignant, parce que pur, intime et tellement sincère ! « Quand un homme qui était en prison depuis 30 ans devient président de l’Afrique du Sud, quand un homme qui ne faisait plus de musique depuis 20 ans peut revenir à nouveau, c’est Dieu qui fait ça. Qui d’autre pourrait faire ça ? » interrogerait le maestro de la musique kayesienne.
Rédaction KayesBaMusic
Source: Kayes Ba Music