Boubacar Coulibaly a aujourd’hui presque 65 ans. Coulant une douce retraite dans la paisible Suisse, il a publié, en novembre dernier, le récit de sa riche et palpitante vie. L’œuvre, autobiographique, sans fiction ni vernis, intitulée De Tombouctou ou Lac Léman, est publié aux éditions L’Harmattan. Un ouvrage de plus de 300 pages qui sonne comme un témoignage en direct.
L’on dit souvent que le destin est la plus absurde des logiques. Boubacar Coulibaly ne peut le démentir car, en naissant à Barouéli, petite bourgade perdue, sans route asphaltée de la région de Ségou, sans eau courante ni électricité, l’auteur ne pouvait imaginer l’odyssée que serait sa vie. Même si, fils de fonctionnaire (son père Tigui Coulibaly, originaire de Ségou était receveur des postes), Boubacar pouvait espérer mieux que les enfants de paysans.
Il a donc été à l’école comme tous les enfants de fonctionnaires. Une école qui, dès le début, ne lui plaira pas. Il y allait plus par routine que par amour. Il finira par devenir infirmier d’état spécialisé en chirurgie cardiaque après une formation à Hambourg, en Allemagne.
Mais, l’intérêt de l’ouvrage de Boubacar Coulibaly ne réside pas dans son itinéraire scolaire, académique ou professionnel. Parce que, dans ce livre, ce que l’on ressent immédiatement, c’est le refus total de l’auteur de se mouler, de prendre corps dans un itinéraire fixé d’avance, bref de devenir un petit fonctionnaire sans ambition, englué dans sa routine et façonné par des modèles sociaux immuables. Dès le départ, Boubacar sent, de manière inconsciente, naître entre lui et le Mali une relation d’amour-rejet.
Il aime son pays, sa terre natale, le siège de sa personnalité intrinsèque, mais il déteste profondément l’hypocrisie, le parasitisme social et surtout la méchanceté gratuite qui paralyse les relations humaines. Par exemple, jeune diplômé rentré fraîchement de France pour aider son pays dans le domaine sanitaire, l’auteur avoue presque immédiatement son écœurement face aux attitudes et comportements des miliciens du régime Modibo Kéita qui, à Mopti, n’ont pas hésité à humilier son père, notable et chef du bureau des postes.
Boubacar est un homme qui, par ses origines qui remontent à Ségou et au Kaarta, de la lignée des Biton Coulibaly, se sent incapable de verser dans la flagornerie. Il n’est pas saltimbanque et ne le sera jamais. Difficile de faire carrière en Afrique sans se rabaisser !
Egalement, embauché à l’hôpital de Kati aux côtés du célèbre professeur Boubacar Sall, Coulibaly verra son travail (l’ordre, la discipline, la ponctualité, le respect des patients) faire l’objet d’un perpétuel sabotage de la part de fonctionnaires paresseux et incompétents qui ne trouvent leur salut que dans l’anarchie et le manque d’organisation. Cette relation amour-rejet avec le Mali le conduira à exercer son métier en Côte d’Ivoire, en Allemagne et enfin, en Suisse où, au sein de l’ONG Terre des Hommes, il trouvera provisoirement sa voie.
Boubacar Coulibaly n’a pas eu la vie facile, mais, dans son poignant récit, il se garde de sombrer dans le pathos et ne cherche nullement à attirer sur sa personne la pitié ou la concupiscence. Son premier drame est d’abord son rêve avorté de travailler pour le Mali. Lui, méthodique, honnête, ponctuel et intransigeant avec les principes comprend définitivement qu’au Mali, il ne sera jamais dans son élément. La douleur de l’exil naît de ce constat. Ensuite, à travers ses différentes pérégrinations, Boubacar Coulibaly comprend que l’exil, c’est renoncer à tout sans oser prétendre à quelque chose. Après, l’auteur narre fidèlement sa « conversion au christianisme ».
Il s’agit en réalité, d’une conversion à la religion puisque Boubacar Coulibaly, dans son récit, ne se définissait pas comme musulman, ne priait pas, ne jeûnait pas. Néanmoins, ce choix provoquera des déchirements avec ses parents, notamment son père Tigui Coulibaly, musulman convaincu qui ne voulait plus de lui dans sa famille. Il raconte comment feue sa sœur aînée, Bintou Coulibaly, « première femme officier de police du Mali » le chassera proprement de sa maison quand il se mit à la recherche d’un refuge.
Boubacar Coulibaly croira, à tort, avoir surmonté les phases les plus dures de sa vie, mais il lui reste d’autres encore plus dramatiques : la mort de ses parents, de sa sœur aînée puis, personnellement une greffe douloureuse du foie en Suisse suite à une cirrhose et le terrible accident de la route qui a arraché la vie à sa femme Jacqueline Maria et sa fille Jemima et provoqué l’amputation de la jambe de son fils aîné Noah.
Au fil des pages, le lecteur ne peut s’empêcher de se poser des questions : D’où l’auteur puise-t-il cette énergie incroyable qui lui permet de surmonter de telles épreuves ? De quelle carapace est-il constitué pour encaisser des coups aussi rudes ? Peut-être se dira-t-on, en faisant la balance de sa vie, il a eu une enfance merveilleuse auprès de sa grand-mère et protectrice Batin ; il a parcouru le Mali de Barouéli à Niono, de Ké-Macina à Tombouctou, de Diré à Ségou puis le monde.
Boubacar ne s’en cache pas, sa jeunesse fut un peu celle d’un « viveur » insouciant qui ne lésinait pas sur l’alcool, la cigarette, les virées en boîte et les belles compagnes. Peut-être bien qu’au-delà de toutes les vicissitudes, il se sent privilégié d’avoir connu les émotions de la joie et surtout, la liberté d’avoir découvert « sa voie » même si, au fond de lui, une chose est claire : il ne reviendra jamais s’installer au Mali. Est-ce un Malien perdu à jamais pour le Mali ou un Malien qui enrichira la culture de l’Universel ?
On peut seulement regretter qu’à 33 euros l’exemplaire (près de 21 000 F CFA) et sans aucun effort de promotion et de publicité, l’Harmattan n’ait pas rendu un bon service à cet auteur. Pourtant, le livre est un bijou du point de vue de l’écriture, de l’art narratif et de la description. Sans fioritures, droit au but, la plume nous révèle un talent littéraire au potentiel énorme. On peut regretter la correction un peu bâclée de l’Harmattan qui fait surgir des virgules et des alinéas de manière intempestive. Souhaitons vivement qu’une maison d’édition locale reprenne ce travail afin d’offrir un bouquin à la portée de la bourse des Maliens.
Ousmane Sow
(journaliste, Montréal)
13 août 2007.