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Avec « Du Mali au Mississipi », Martin Scorsese nous offre un voyage depuis les rives du fleuve Niger, jusqu’aux champs de coton et aux arrière-salles bricolées du delta du Mississipi afin de retracer les origines du blues. Il livre aux millions de fans du blues un cocktail lyrique de performances originales (dont celles d’Ali Farka Touré, Salif Kéita, Toumani Diabaté, Habib Koité, Taj Mahal, Correy Harris, Othar Turner, Robert Johnson, Son House) et d’images d’archives rarissimes.

Si pour le réalisateur, ce film est une quête de son passé afin de se retrouver lui-même dans le présent, pour le néophyte, l’œuvre est un voyage initiatique dans l’univers du blues. Qu’il soit une musique de survie, chants guérisseurs (John Lee Hooker) ou rythmes d’amour et de souffrance (Salif Kéita), le blues célèbre l’une des rares victoires des Noirs sur l’esclavage. Les esclavagistes leur ont tout pris sauf cette musique qu’ils ont dans le sang. Même si ses racines sont en Afrique comme le dit si bien Ali Farka Touré, le blues a été révélé au monde par les esclaves.

Il a été leur compagnon dans les chants de coton, sur les chantiers de développement de l’Amérique. Il a été témoin de leur souffrance, de leur déchéance, de leur mélancolie, de leur nostalgie de l’Afrique, mais aussi de leurs rares moments de joie, de leur révolte, de leur émancipation et de leur long combat d’intégration dans la société américaine. « Obsession » pour certains, le blues sent toujours « le sang et la boue ».

Le sang de la capture, le sang des sévices corporels dans les petits enclos de la Maison des esclaves de Gorée et des cales des négriers où ils s’entassaient comme des sardines. Le sang versé dans les champs, les chantiers, lors des fuites et des révoltes. La boue dans laquelle les « nègres » étaient régulièrement humiliés, leur dignité et leur honneur piétinés à longueur de journée. Cette boue à partir de laquelle ils ont contribué à faire de l’Amérique ce qu’elle est aujourd’hui : une puissante nation industrielle et militaire. Mais, c’est à peine si on le reconnaît à leurs descendants qui continuent à traîner la couleur de leur peau comme une croix.

Heureusement que le blues est là pour leur rappeler qui ils sont, d’où ils viennent, la valeur de leurs ancêtres. Comme le dit Ali Farka, il n’y a pas de Noirs Américains, mais il y a des Noirs en Amérique ! L’histoire du blues se confond avec le mouvement d’émancipation des Noirs et leur combat pour la liberté et la reconnaissance de leurs droits civiques, la mécanisation de l’agriculture, l’histoire politique des Etats civils dont la guerre de sécession est l’une des pages légendaires et tragiques.

Ce n’est pas la première fois que Martin Scorsese consacre un documentaire à des musiciens. En 1976, il filmait dans « The Last Waltz », le dernier concert d’un groupe dont il est fan, The Band, connu notamment pour avoir accompagné Bob Dylan. Côté fiction, le réalisateur signe à la même époque une comédie musicale, « New York, New York », qui met en scène, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une chanteuse incarnée par Liza Minelli et un saxophoniste de jazz interprété par Robert De Niro, acteur fétiche du cinéaste. Et « Du Mali au Mississipi », des racines du blues aux ramures de ses feuilles peut-on dire aussi, est l’une de ses œuvres les plus réussies.

Ce film suffisait pour meubler la soirée sans regret. Mais, Nicole Seurat et son équipe tenaient à nous offrir une cerise sur ce copieux gâteau. Ainsi, deux protagonistes, Habib Koité et Ali Farka Touré, sont montés sur scène pour compléter ce voyage nostalgique, ce pèlerinage de la source à l’embouchure du blues. Des prestations difficiles à commenter. Seulement éblouissantes, édifiantes après avoir vu le film et surtout inédites. Parce que, en plus du blues, ce que Habib et Aly ont en commun, c’est qu’aucun de leurs spectacles ne ressemble à l’autre. Avec eux, le public a toujours droit à des prestations inédites.

On comprend alors que le CCF ait, le vendredi dernier, refusé du monde. Les absents vont longtemps se mordre le doigt d’avoir raté au CCF l’un de ses plus grands événements de l’année.

Moussa Bolly

26 avril 2005