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« Il a fallu des siècles pour rendre justice à l’humanité, et sentir qu’il est horrible que grand nombre semât et que le petit nombre recueillît » (Voltaire).

Phrase d’un tenant de la lutte des classes, mais combien interpellatrice de toutes consciences nationales, singulièrement la malienne, face au fléau de la corruption qui annihile les efforts de développement et sape les fondements mêmes de la République.

C’est, de toute évidence, la conviction forte de Amadou Toumani Touré, exprimée dans la lettre de cadrage adressée au Premier ministre à qui est désormais dévolu le devoir d’assurer « la cohérence, la cohésion et la continuité de l’action gouvernementale ».

Rôle qui, toujours selon le président de la République, lui « confère un pouvoir d’instruction, d’arbitrage et de sanction dans tous les secteurs de l’administration ».

En clair, le chef de l’Etat dit au chef du gouvernement que la République, pas plus que ses institutions, ne peuvent se passer de vertu chez ceux qui les servent, bréviaire qu’il doit s’approprier afin de faire de l’Etat un modèle de bonne gouvernance : un Etat fort, une administration efficace, une justice assainie et des collectivités locales renforcées. Mais cela est au prix du renouveau de l’action publique qui n’est possible que par un nouvel état d’esprit.

Le président ATT prévoit même, pour parvenir à un projet national partagé de lutte contre la corruption et instaurer les bonnes pratiques dans la gestion des affaires et deniers publics, l’organisation des états généraux de la lutte contre la corruption dès le premier semestre 2008. Vœu pieux ou forte détermination, la volonté présidentielle ainsi exprimée sonne comme appel à la mobilisation générale contre un mal qui est en train d’obérer l’avenir même de la nation.

Il y a donc urgence à monter au front. Hommes politiques, intellectuels et société civile, en première ligne, n’ont pas à faiblir. Deux réalités le leur imposent.

Premièrement, plus qu’un constat, la corruption est un fait que les structures de contrôle ont établi avec évidence. Le président Amadou Toumani Touré révéla même dans son discours traditionnel à l’occasion du 22 septembre qu’il tenait « à souligner que de juin 2002 au 31 août 2007, j’ai reçu, des différents services de contrôle, un total de 722 rapports, dont 138 pouvant connaître des suites judiciaires, transmis au procureur ».

De cette révélation, on retiendra que les services de contrôle, loin de s’endormir sur leurs lauriers, abattent plutôt un travail de fourmi, assidu, contre toutes les formes de délinquance. Ce qui est donc à revoir, ce sont plus la sécurité dans la décision politique et la cadence à imprimer à l’action judiciaire que la mise en évidence des indélicatesses.

Pour preuve, lors de la cérémonie de remise de son rapport annuel 2006 au président de la République le 25 juin 2007, le Vérificateur général a cru devoir frapper au cœur du chef de l’Etat et dans la pleine conscience citoyenne de la nation en insistant sur le fait que le rapport en question « est la synthèse de vingt six rapports de contrôle… d’un total de plus de 700 pages ».

Du document, il ressort qu’entre 2002 et 2006, donc en quatre années, l’Etat malien a été spolié de plus de 102 milliards de Fcfa de recettes pour des raisons diverses que sont : le non recouvrement, la minoration d’impôts et droits de douanes, le détournement et la dilapidation des fonds publics, les surfacturations, les commandes fictives. Le Vérificateur général, au fil de son allocution, a même semblé saisir la fibre patriotique du président de la République par quelques estimations aussi indéniables qu’audacieuses.

Pour lui, en effet, « un manque à gagner pour l’Etat, de l’ampleur révélée est d’autant plus préoccupant qu’il représente le double du budget d’équipement et d’investissement de toute l’administration publique. Il représente également plus de 70 % de la masse salariale annuelle de la fonction publique nationale. Il représente enfin 176 lycées, 3026 blocs de trois salles de classes entièrement équipées, 312 nouveaux centres de santé de référence convenablement équipés et dotés de personnel ».

Lutte contre la corruption : un impératif

Sidi Sosso Diarra et ses assistants ne peuvent pas se réjouir des résultats de leurs investigations « parce qu’il n’est pas décent qu’une minorité d’entre nous continue d’hypothéquer l’avenir de nos enfants et de la nation ». Enfin, ils ne peuvent se réjouir « parce que ce comportement n’est pas acceptable de la part de ceux qui, au lieu d’être les serviteurs de l’Etat, privent les élèves de manuels scolaires, limitent l’accès des malades aux soins dont ils ont besoin, renforcent le chômage des jeunes ».

Pour ne pas faire détail de cas, le rapport révèle des livraisons fictives de manuels scolaires ayant coûté trois milliards de francs CFA. C’est-à-dire, que les milliards que l’Etat débourse pour instruire ses enfants servent plutôt à assurer le confort indécent à certains tout en garnissant leurs comptes bancaires hors du Mali.

Le Vérificateur général ne termine pas sans insister : « Les problèmes que soulève le rapport annuel requièrent une solution urgente et adéquate… Nous savons… que la corruption zéro n’est pas imaginable. Nous souhaitons cependant que l’impunité zéro devienne bientôt une réalité. Ceci requiert plus d’efficacité et de diligence des pouvoirs publics, notamment de la justice, dans le traitement des dossiers que nous lui transmettons… ».

Ce que le Vérificateur général s’est bien gardé de dire, comme le laboureur à ses enfants dans la fable de la fontaine, c’est qu’avec les 102 milliards Fcfa, le Mali pourrait doubler les salaires de ses fonctionnaires.

Deuxièmement, la lutte contre la corruption est un impératif majeur parce que le fléau cause un énorme tort à nos concitoyens pourtant assis sur des trésors. En effet, notre pays regorge d’immenses potentialités (gisements de fer, de phosphate, etc.) qui intéressent de plus en plus les investisseurs avertis.

La vallée du fleuve Niger, pour ne citer qu’une aire géographique, est bondée de ressources de toutes sortes répertoriées par la mission européenne : Mme Irène Horejs, en faisant ses adieux aux autorités maliennes, a même eu le plaisir d’offrir au Premier ministre Modibo Sidibé un livre qui en fait le point.

Toutes proportions gardées, sans être à présent le nouvel Eldorado, le Mali ne manque pas de richesses qui comptent, qu’elles soient mises en évidence ou en état de sondage, exploitées ou réservées. Troisième producteur africain de coton après l’Egypte et le Burkina Faso, il occupe la même place pour la production de l’or (avec plus de 20 tonnes par an) derrière l’Afrique du sud et le Ghana, mais désormais devant la Tanzanie.

La plus grande partie du peuple malien ne vit pourtant pas dans les meilleures conditions, car la majorité n’a pas un revenu annuel de mille dollars. Comme si la générosité divine venait narguer le contraste, le pétrole a choisi de se répandre dans notre sous-sol.

En visite en France dans la dernière décade du mois d’octobre, le président de la République a révélé à nos compatriotes vivant à Lyon que « la recherche pétrolière avance et les forages vont démarrer dans deux ou trois ans ». Voilà une raison de plus de vaincre le fléau de la corruption pour sécuriser les futures mannes pétrolières au profit de la nation entière.

Amadou N’Fa Diallo

26 novembre 2007.