« Là où on peut voir la main de la Libye au Mali, ce n’est pas derrière les rebelles, mais les projets de développement » : tel est le point de vue d’un responsable libyen qui rencontrait une équipe de journalistes partie s’enquérir de l’implication éventuelle de Tripoli dans les attaques de camps militaires à Kidal et Menaka le 23 mai 2006.
Les rebelles maliens qui ont attaqué Kidal, il y a deux semaines, ont été soupçonnés d’être soutenus par la Libye. Un soupçon d’ailleurs qui se fondait sur des arguments solides, notamment, l’escapade solitaire du Guide dans la région lors de sa venue pour le Mouloud 2006, ses rencontres avec des éléments qui ne disent rien de bon du régime central…
Pour donner sa version des faits, le gouvernement libyen a invité le lundi dernier à Tripoli, une dizaine de journalistes maliens. Au départ, il était prévu de rencontrer le Guide en personne, mais les confrères se contenteront de son directeur de cabinet.
Opération de charme ou véritable volonté de redorer le blason après une action qui a vraiment fait baisser la côte du Guide dans les cœurs de nos compatriotes qui ne comprenaient pas ce « soutien » aux irrédentistes et surtout cette action de déstabilisation nationale.
Quoi qu’il en soit, la Libye a tenu à s’expliquer. Une attention qui sera quand même relevée par tous les observateurs en Libye comme étant une première.
La Grande Jamahiriya populaire est en effet accusée à longueur de journée, à tort ou à raison, d’être impliquée dans les affaires sales du continent et même au-delà.
Mais, c’est vraiment la première fois que, « pour préserver ses relations avec le Mali et placer son intervention dans son contexte », les autorités ont voulu s’expliquer devant l’opinion malienne.
La démarche en soi est déjà un pas important dans nos relations, même si par ailleurs on aurait pu penser que l’opération est plus destinée à charmer cette même opinion. Cependant, le fait que ce pays ne soit pas coutumier de la gestion du « qu’en dira-t-on », incline à penser que l’exercice était pris à cœur.
Finalement, pour paraphraser un responsable libyen qui jure la main sur le cœur, « là où on peut voir la main de la Libye au Mali, ce n’est pas derrière les rebelles, mais les projets de développement ».
Alexis Kalambry
(envoyé spécial à Tripoli)
BACHIR SALEH BACHIR, DIRECTEUR DE CABINET DE KADHAFI
« Nous ne sommes pas mêlés à la rébellion au nord »
Par rapport à la rébellion au nord du Mali, le directeur de cabinet du Guide de la Grande Jamahiriya a bien voulu nous donner la position de son pays.
« La Libye travaille au Mali. Le Guide a visité à plusieurs reprises votre pays. Nos relations sont excellentes. Lors de sa dernière visite à Tombouctou, il a donné des directives pour le développement du Nord. Ce programme est déjà en application. Nous avons décidé de construire des centres de santé et des écoles, de développer l’aéroport de Tombouctou.
Nous avons été surpris par les événements de Kidal. Nous ne sommes ni de près ni de loin mêlés à ces événements. Pour entreprendre ce que nous voulons faire, nous avons besoin de paix et de stabilité au nord du Mali. S’il n’y a pas de paix, il nous serait difficile d’entreprendre ce que nous projetons comme investissement.
Nous avons ouvert le consulat à Kidal pour suivre nos investissements et mettre en valeur la région. Mais, s’il y a l’instabilité, on peut fermer. Nous avons d’ailleurs entrepris des démarches dans ce sens.
Nous voulons assurer la stabilité pour développer le Nord. Nos projets ne sont pas destinés à une communauté en particulier ou à des individus. Notre consulat n’est pas mêlé à la rébellion. La Libye est claire dans ses relations avec le Mali et considère ses liens avec le Mali comme des plus exemplaires.
Si le gouvernement nous sollicite pour la médiation, ou n’importe quelle démarche dans ce sens, on le ferra comme nous avons déjà aidé à la médiation au Tchad ou dans la crise du Darfour au Soudan ».
Propos recueillis, à Tripoli, par Alexis Kalambry
PROJETS D’INVESTISSEMENT LIBYEN AU MALI
Un portefeuille de 12 milliards de F CFA
La Libye a mis en place un fonds d’investissement qui envisage d’investir chez nous plus de 25 millions de dollars. Selon Bachir Saleh Bachir, directeur de cabinet de Kadhafi et PDG de ce portefeuille d’investissement, « nous allons investir dans la cimenterie, l’électrification et l’extraction du phosphate ».
La Libye est déjà présente au Mali dans l’hôtellerie (hôtel de l’Amitié) et le tabac (Sonatam), mais elle compte diversifier ses domaines d’investissement au Mali.
Et le tout ne serait pas porté sur les activités lucratives, puisque le pays du Guide compte aussi investir dans la construction de micro barrages, de puits à grand diamètre ou encore la réouverture du canal mort de Tombouctou.
Pour Bachir Saleh Bachir, les 50 millions de dollars d’investissement ne concernent que la première phase du projet qui sera appelé à s’étendre avec le temps. « Nous allons investir sans réserve au Mali ».
Répondant à une question sur ce que le pays pourrait faire pour le Mali dans le domaine de la prospection pétrolière, le directeur de cabinet dira : « nous sommes prêts à fournir notre expertise dans tous les domaines où le Mali pourrait nous solliciter ».
Déjà, selon lui, dans l’immédiat, il y aura une usine de fertilisants et une autre pour les conserves de denrées alimentaires. « Nos experts examinent au cas par cas les dossiers et les projets ».
Cependant, avertit le directeur de cabinet, il faut que cela soit clair : « nos investissements au nord du Mali ne sont pas destinés à une communauté, encore moins à une personne ».
Alexis Kalambry
1er juin 2006.