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Ils sont aujourd’hui quatre directeurs de publication écroués à la Maison centrale d’arrêt (MCA) de Bamako dans l’affaire « SOD ». Cela donne raison à ceux qui pensent que le régime veut régler ses comptes avec la presse privée en la décapitant. Une dérive liberticide qui suscite peu de réaction dans le cercle des démocrates et dans la société civile.

« La situation de la liberté de la presse s’améliore dans un nombre croissant de pays d’Afrique et d’Amérique latine, dit RSF. Il s’agit notamment du Bénin, de la Namibie, des îles du Cap Vert, de l’île Maurice, du Mali, du Costa Rica, de la Bolivie et du Salvador » ! C’était la conclusion d’un rapporteur de reporter sans frontières (RSF) en octobre 2005.

Si l’association devait revenir sur cette conclusion, il est évident qu’elle reverrait sa copie en ce qui concerne le Mali. En effet, depuis cinq ans, les journalistes maliens sont victimes de toutes sortes d’attaques pour les empêcher de faire leur travail. Cela va des menaces verbales aux agressions physiques en passant par des convocations régulières à la Sécurité d’Etat.

Aujourd’hui, ces actions antidémocratiques ont atteint leur paroxysme avec ce qui est convenu d’appeler l’affaire « SOD ». Une violation de la liberté d’expression très triste et humiliante pour une nation qui se dit démocratique.

Un sujet de dissertation sur la « maîtresse du président » a servi de prétexte au régime pour essayer de décapiter la presse privée, du moins sa partie non soumise au pouvoir en place. Ainsi, mercredi dernier, les directeurs de publication des journaux les plus influents et les plus critiques à l’égard du pouvoir se sont retrouvés derrière les barreaux pour avoir soutenu leur confrère arbitrairement écroué.

Du jamais vu dans l’histoire du Mali indépendant. Si cela était arrivé sous Moussa Traoré, personne n’aurait crié au scandale parce que cela aurait été dans la nature des choses dans un régime dictatorial. Si Alpha Oumar Konaré avait emprisonné des journalistes, cela allait provoquer peu d’émoi puisque, même au sein de la profession, on se disait que les confrères dépassaient les limites de la liberté accordée.

Mais, conscient de l’apport de la presse dans l’avènement de la démocratie et de son rôle dans sa consolidation, AOK n’a jamais voulu lever le petit doigt contre un journaliste dans l’exercice de ses fonctions.


Justice manipulée, presse embastillée

Nous voudrions bien croire que ce qui arrive maintenant ne soit une volonté du président de la République, mais plutôt le zèle de quelques magistrats et de son entourage qui veulent monter dans son estime et bâtir leur carrière au détriment des libertés fondamentales acquises au prix du sang des martyrs. Le sujet de dissertation a parlé de la « maîtresse du président » ! De quel président ? Le professeur incriminé avait tenu à préciser que c’est un sujet comme n’importe quel autre et qu’il ne visait personne.

Alors pourquoi le procureur et la Sécurité d’Etat voudraient que cela soit forcément le nôtre, l’actuel ? Où est l’offense au chef de l’Etat dans un sujet de dissertation ? Pis, le crime de notre confrère a été d’avoir commenté ce sujet en mettant en relief son caractère amoral et immoral. Et il est universellement admis que « les faits sont sacrés, mais le commentaire libre ». Mais, des journalistes se retrouvent en prison au Mali pour avoir commenté une dissertation. Plus grave, le magistrat abandonne la voie du délit de presse pour enclencher la procédure pénale. La manipulation de l’appareil judiciaire et le règlement de compte sont plus qu’évidents.

Le président n’avait pas besoin d’un scandale de ce genre, ternissant l’image du pays aux yeux d’une opinion publique internationale qui le citait en exemple, pour entamer son deuxième et dernier mandat. Cette réaction disproportionnée est très inquiétante parce qu’elle démontre jusque où les zélés de la République sont prêts à aller pour éliminer tous les contrepouvoirs au régime.


Des libertés bientôt hypothéquées

Les journaux qui sont aujourd’hui dans l’œil du cyclone ne le sont pas fortuitement. Il s’agit des titres (Les Echos, Le Républicain, Info-Matin et Le Scorpion) qui sont les plus critiques face à la gouvernance actuelle du pays, à la dérive autocratique de ses gouvernants et au sacrifice de l’intérêt public au profit de ceux d’une minorité.

Il est temps de revenir à la raison. En s’attaquant à la presse, le pouvoir amorce une dérive liberticide grave. En effet, la liberté de la presse est l’un des principes fondamentaux des systèmes démocratiques. Elle repose sur la liberté d’opinion, la liberté mentale et d’expression. Ainsi, l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement… ».

Curieusement, il y a peu de réactions par rapport à cette tentative d’embastiller la presse indépendante. Si réactions il y a, elles sont timides. Mais, comme on le dit, chacun a son tour chez le coiffeur. Si jamais le pouvoir parvient à museler la presse, la classe politique, les syndicats et les organisations de la société civile doivent s’attendre aussi à la confiscation de leurs libertés. C’est sur cette voie que le Mali se trouve aujourd’hui. Et c’est dommage que les démocrates se taisent en ce moment précis. De peur de se retrouver à leur tour à la MCA ?

Moussa Bolly

22 juin 2007.