Partager

Nous voilà de nouveau à la veille d’un anniversaire de la Révolution du 26 Mars 1991. Cela fait déjà 19 ans que les Maliens dans un soulèvement inédit mettaient fin au régime du parti unique.Et comme chaque année, cet anniversaire donne l’occasion aux commentateurs de s’interroger sur les acquis et les échecs de ce changement de République.Même si chaque année, la ferveur pour la célébration de ce soulèvement populaire, semble faiblir. Du fait du temps qui passe inexorablement ou de la déception de nos compatriotes ?

Certainement les deux à la fois. De fait, depuis plusieurs années déjà, la célébration du 26 Mars renvoie le sentiment de se réduire au service minimum. Et ce, même avec l’institution d’une Semaine des martyrs. Il faut sans doute d’abord rappeler que l’immense espoir suscité par la fin du régime du parti unique était à la dimension des frustrations accumulées par nos concitoyens pendant des décennies. Que demandaient-ils ?

La démocratie en instituant le multipartisme, l’instauration d’un Etat de droit qui traiterait les citoyens sur le même pied d’égalité, la fin de la corruption, plus de justice sociale et de justice tout court, l’amélioration de leur quotidien, plus d’emplois.

19 ans après, le pays reste encore en quête de certaine de ces demandes. Mais l’on se tromperait gravement en adoptant une vision manichéenne de l’évolution durant ces deux dernières décennies.

En effet, la réalité vaut mieux que les jugements péremptoires. Et quelle que soit l’appréciation de l’état du pays, il serait dommage de tomber dans le piège de la dénégation systématique des changements en profondeur intervenus. Voyons donc d’abord les acquis. Ils sont nombreux.

Le multipartisme qui apparait aujourd’hui comme allant de soi, est même pratiqué avec démesure avec plus de 115 partis politiques. Aujourd’hui, l’on trouverait peu de gens souhaitant le retour à un régime de parti unique.

Le processus démocratique malgré ses insuffisances (faible taux de participation aux élections, fraude électorale) est toujours considéré comme une référence sur un continent où l’alternance n’est pas la valeur démocratique la mieux partagée.

Nous usons et abusons à l’occasion de la liberté de presse. En matière d’infrastructures, nombre de nos voisins nous envient. Et même si l’économie reste particulièrement fragile face aux facteurs naturels et aux chocs extérieurs, les reformes entreprises ont favorisé la création d’un cadre macro-économique relativement assaini qui permet au pays de franchir les mauvaises passe conjoncturelles. Mais à côté de ces progrès, les défis restent nombreux à relever.

Des questions nécessiteraient même une véritable introspection nationale. A commencer par la perte d’autorité de l’Etat favorisant un incivisme aux multiples manifestations qui vont s’aggravant ces mois derniers. Du coup, nombre de nos compatriotes en arrivent à regretter l’Etat autoritaire qu’ils avaient pourtant combattu.

Mais plus que l’incivisme, la situation dans laquelle se trouve l’école est particulièrement préoccupante au point que les plus sceptiques se demandent si le monde scolaire est encore capable de renouer avec la normalité. Les conséquences du marasme scolaire ne se sont pas fait attendre, notamment par une baisse généralisée du niveau des élèves et étudiants.

La première richesse d’un pays étant la qualité de ses ressources humaines, notre pays s’interroge sans discontinuer sur l’avenir. Un domaine dans lequel les attentes de la révolution de Mars 1991 n’ont pas été non plus comblées, est bien la justice. En effet, malgré les réformes engagées dans ce secteur et les efforts déployés par ses acteurs, une majorité de Maliens professent une profonde défiance à l’égard de la justice.

Aussi bien termes d’accessibilité que d’égalité. D’autres (et ils sont tout aussi nombreux) ont le sentiment que la lutte contre la corruption dont le soulèvement Mars 1991 était porteur, n’est pas menée avec toute la vigueur nécessaire en dépit des initiatives publiques.

Ces constats et l’état d’esprit qui en découle ne sont évidemment pas de nature à entretenir la flamme du soulèvement de Mars 1991. Surtout que ceux qui devraient être postés en première ligne dans la défense de ces idéaux, notamment les partis et associations du Mouvement démocratique, n’ont pas toujours été sans reproche dans la mobilisation de nos concitoyens.

La confrontation politique a eu raison de l’unité des partis autour des idéaux de la révolution tandis que certaines associations se sont enfermées dans un système de rente avec des revendications plus pécuniaires que liées à la défense de Mars 1991. Assurément, il reste beaucoup à faire pour ranimer et ancrer certaines convictions.

Salim Togola

L’Essor du 25 Mars 2010.