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Réélu dès le premier tour lors de la présidentielle de 2007, Amadou Toumani Touré est en train de poursuivre son second quinquennat à la tête du Mali. Mais à deux ans et trois mois de la fin de son mandat, ATT apparaît de plus en plus seul, comme si la guerre de succession avait déjà commencé. D’un côté, on a un Premier Ministre effacé ou qui ne veut pas se compromettre parce qu’il nourrirait des ambitions pour la prochaine présidentielle. De l’autre, le bal des candidats est vraisemblablement ouvert, tant au sein de la classe politique que dans la société civile.

Et ce qu’ATT subit rappelle étrangement la situation qu’avait connu son prédécesseur Alpha Oumar Konaré à la veille de son règne en 20O2. A croire que ceux qui sont censés aider le Chef de l’État à finir son dernier mandat dans la sérénité sont pressés de lui succéder. Où sont donc passés ses amis politiques de l’ADP ? A-t-on donc oublié les leçons données par Alpha à ceux qui l’avaient vite conjugué au passé ?

Les raisons d’un plébiscite

Au cours du scrutin du 29 Avril 2009, le peuple avait tranché, et les observateurs avaient validé, évitant ainsi à notre pays d’entrer dans une zone de turbulence, puisque chacun garde à l’esprit la malheureuse expérience de la première élection en année impaire tenue en 1997. Avec cette éclatante victoire du Président sortant, des analystes politiques estimaient que chacun se devait de surmonter son amertume et ses rancœurs, pour penser à l’avenir.

Pour les uns, ATT a été plébiscité parce qu’il veut mettre en œuvre, durant les cinq années à venir, un ambitieux Projet de Développement Économique et Social (PDES) pour un “Mali qui Gagne”. Selon d’autres, au contraire, le Mali étant un régime démocratique, que ceux qui veulent composer avec ATT pour aller de l’avant le fassent. Et ceux qui veulent rester en marge de l’action gouvernementale doivent prendre leur courage à deux mains et s’assumer ouvertement.

Puisqu’une opposition crédible peut être aussi un atout politique pour le Président de la République, même s’il a besoin de coudées franches pour mener à bon port ce second et dernier mandat que la Constitution lui confère. Dans ce cas, ATT ne devrait pas avoir de gros soucis à se faire pour trouver une majorité stable à l’Assemblée Nationale, capable de l’aider à gouverner.

D’autant plus que l’Alliance pour la Démocratie et le Progrès (ADP) devait, sans grandes difficultés, obtenir cette majorité. Sans oublier aussi que le Mouvement Citoyen est parvenu à glisser des candidats sur les listes de certaines formations politiques, lors des législatives pour obtenir des députés.

Le problème des récompenses

A en croire de nombreux analystes, même avec cette majorité à l’Assemblée nationale, ATT n’a pas totalement balisé le terrain pour gouverner tranquillement pendant son second quinquennat, car tout devait dépendre du sort réservé à ses amis dans le premier gouvernement formé juste après les élections pour démarrer le mandat en cours. Puisque dans les milieux politiques, on entendait dire que les partisans du Président avaient promis le “Takokelen”, c’est-à-dire la victoire dès le premier tour, et ils l’ont fait.

Ce faisant, un véritable embouteillage s’est créé au sein de l’ADP qui avait soutenu le candidat Touré. Cette alliance est composée de plus de quarante partis politiques. Mais il ne faut pas non plus oublier la myriade d’associations et clubs de soutien qui ont participé activement à cette victoire.

D’un côté, on avait les ministres du gouvernement sortant qui se présentaient comme étant les “hommes du président”. Ils étaient accusés souvent, à tort ou à raison, d’être sans assise politique, mais plutôt des spécialistes du trafic d’influence.

De l’autre, on pouvait recenser ces cadres qui voulaient tous être appelés à “la soupe”, c’est-à-dire au gouvernement, pour avoir mouillé le maillot lors du scrutin. Or, chacun sait que le nombre de portefeuilles ministériels est limité. Et tous les ministres voulaient être maintenus à leurs postes respectifs. Ils voyaient d’un mauvais œil les prétendants à leurs places. Dans l’un ou l’autre cas, l’espoir a laissé place à la déception chez beaucoup de “ATT-boys”.

Le code du lâchage

Aujourd’hui, les amis du Président semblent lui faire comprendre que lors de l’élection, leur rôle était de donner la victoire à leur candidat ; mais pour la gestion, ce serait à lui de se débrouiller. C’est pourquoi, à part le vote des textes à l’Assemblée, on ne remarque aucun acte posé sur le terrain pour aider à surmonter des crises comme celles de l’école, du Nord-Mali, la flambée du prix des denrées de première nécessité.

Tout l’accompagnement des “amis“, surtout politiques, se résume à des communiqués laconiques, soit pour condamner un acte, soit pour féliciter le gouvernement et le Président de la République. A croire qu’ils se préoccupent beaucoup plus de leur positionnement pour les futures élections, plutôt que de perdre le temps à manifester un quelconque soutien à ATT.

Des faits sont là pour attester que si les “amis“ du Président ne lui ont pas déjà tourné le dos, ils ne sont plus loin à le faire. On peut seulement citer l’affaire du problème du Code des Personnes et de la Famille. Après son adoption par les députés avec, à leur tête, Dioncounda Traoré, président de l’ADP, le monde musulman, sous l’impulsion du Haut Conseil Islamique, a multiplié marches et meetings afin d’obliger ATT à ne pas promulguer le texte.

Le Chef de l’État fut contraint d’envoyer le texte à l’Assemblée, pour une deuxième lecture.
Pendant que les Ulémas surchauffaient l’atmosphère, aucun “ami“ du Président n’a levé le petit doigt pour affirmer que le code est consensuel et conforme à nos cultures et mœurs.

Même le gouvernement Modibo Sidibé a failli dans cette affaire. Il a envoyé le texte à l’Assemblée nationale au moment de ses vacances.
C’est pourquoi, quand les marches et meetings se multipliaient, il n’y avait personne, du côté gouvernemental, pour faire quelque chose. Et le gouvernement n’a pas daigné écourter ses vacances pour venir faire face à ses brûlots sociaux. Une façon de dire que c’est au Chef de l’État seul de se débrouiller et de prendre ses responsabilités.

C’est pourquoi l’affaire du code a permis à ATT de comprendre qu’il n’a personne pour le défendre en cas de problème. Mais il aura fallu qu’il décide de renvoyer le texte à l’Assemblée, pour une deuxième lecture, pour que des communiqués “démagogiques“ pleuvent de partout. Où étaient-ils, les auteurs desdits communiqués quand les musulmans manifestaient contre ?

L’inquiétude des uns, la joie des autres

Lors de sa conférence de presse du 8 Juin 2009 à Koulouba, ATT déclarait, sans équivoque et sans détour, qu’il n’est pas intéressé par un 3ème mandat à la tête du Mali, et qu’il est même pressé de quitter le pouvoir. Ces propos du Président de la République ont été ressentis, dans les milieux des associations et mouvements qui le soutiennent, comme un coup de poignard dans le dos. De ce fait, ceux qui incitaient ATT à briguer un 3ème mandat sont maintenant obligés de se ramollir, puisque leur mentor n’est pas partant. Ce qui l’intéresse, c’est plutôt qu’on l’aide à finir sans grand problème son mandat en cours.

Cette inquiétude concerne les ”amis”, notamment du Mouvement Citoyen, dont certains ne représentent qu’eux-mêmes, puisqu’ils n’ont aucune assise politique ou populaire. C’est dire que des personnes ont fait leur entrée au CENA parce qu’ils sont dans l’entourage du Chef. Ils sont là parce qu’ATT est au pouvoir.

Et quand ce dernier partira, c’est sûr qu’on n’entendra plus encore parler de certains d’entre eux. Quand ils demandent au Chef de l’État de rester, en réalité, ils pensent à eux-mêmes d’abord.

Cependant, dans la classe politique, ce fut la joie chez ceux-là mêmes qui étaient pressés de voir ATT éclaircir sa position, même si 2012 n’est pas encore proche. C’était le cas de ces hommes politiques dont certains sont ses alliés, mais qui sont pressés de lui succéder. Ils savent que la popularité du Chef de l’État a provoqué jusqu’ici, chez eux, un problème d’enracinement qui leur rend difficile la conquête du pouvoir.

Mais avec l’information donnée, comme quoi ATT ne briguera plus un autre mandat, des leaders politiques sont donc contents. Car certains peuvent déjà se lancer dans des pré campagnes en vue de devenir candidats de leurs formations politiques respectives, pendant que d’autres chercheront à peaufiner leur candidature.

Surtout qu’ils ont à l’idée que sans ATT, le Mouvement Citoyen ne peut leur tenir tête.
Au lieu de chercher à renforcer leur regroupement politique afin de mieux aider ATT et son gouvernement à gérer les crises et les brûlots sociaux, des partis membres de l’ADP veulent que des ministres échouent pour que le Chef de l’Etat leur confie les ministères de ces derniers. En tout cas, à l’ADP, ils sont nombreux à formuler ce souhait du fond du cœur.

D’autres sont en train de travailler pour affaiblir l’ADP. C’est le cas de l’ADEMA-PASJ qui, à la faveur de son projet de fusion, a déjà avalé plusieurs partis membres de l’alliance, dont le RND, le PDCI, le PUDP. De son côté, l’URD, après avoir fait fusion avec certains partis, a ramassé des mécontents des partis, dont certains sont de l’ADP. C’est le cas des dissidents du CNID, du BDIA, qui ont adhéré au parti de la Poignée de mains.

ATT déjà conjugué au passé

A croire qu’à l’ADEMA, à l’URD et dans une moindre mesure, le CNID, c’est l’odeur du pouvoir en 2012 qui oblige à accorder peu d’intérêt et d’attention au pacte de collaboration qui les lie à ATT. Ce n’est d’ailleurs pas le président de l’ADEMA qui soutiendra le contraire.

A ceux qui lui font le reproche d’évoquer déjà 2012, Dioncounda Traoré rétorque qu’en décidant de “soutenir ATT pour son second mandat, notre argument, face aux adversaires de ce soutien , était d’offrir à l’ADEMA toutes ses chances de reconquérir le pouvoir, aux échéances électorales suivantes”.

Quant à Somaïla Cissé, dont le second mandat à la tête de la Commission de l’UEMOA arrive à expiration l’année prochaine, il doit être en train de tâter le terrain avant 2012. C’est ce qui explique ses tournées sur le terrain, avec l’appui de l’URD, pour animer des conférences de sections. A cela, il faudra ajouter les coups médiatiques à travers des interviews accordées à différentes presses.

Pour ce qui concerne Me Mountaga Tall du CNID, il est en train de se préparer à sa façon. Depuis Janvier dernier, le président a entamé une tournée dans les sections de son parti.

En effet, lors des différentes cérémonies de présentation de vœux aux militants et à la presse pour le Nouvel An, les responsables du Comité Directeur ont affirmé que le parti doit procéder au renouvellement total des structures et instances, dans le souci du respect des textes, organiser le conseil national de suivi du congrès, organiser des conférences régionales tournantes, mettre en place une réelle politique de promotion et de valorisation des cadres.

Et d’ici la fin de l’année, le CNID va lancer les bases de son positionnement par rapport aux échéances de 2012.
En tout état de cause, tout le monde est en train de s’agiter, alors que 2012 est encore loin. Une situation qui rappelle celle vécue par Konaré lorsqu’il terminait son mandat en 2002.

Il avait été lâché même par ses camarades de l’ADEMA. Et personne n’a cherché à devenir son dauphin, chacun croyant en ses chances personnelles. On connaît la suite…

Sous ATT, c’est le même scénario qui est en train de se répéter. Les leçons données par Konaré en 2002 ont-elles été mal assimilées, surtout quand il affirmait qu’il restait Président jusqu’au 8 Juin ? Cela ne voulait-il pas tout dire?

Oumar SIDIBE

19 Mars 2010.