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Le président du Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP) consacré le 26 mars 1991, chef du Mouvement démocratique durant la transition, nous invite, mieux, nous incite à témoigner !
Ceux qui ne sont pas enclins à la mystification et qui jugent les mythes très utiles à la nation perçoivent le héros de ce jour-là comme un instrument de l’histoire. Les croyants le savent, Dieu choisit qui il veut comme accoucheur de société : Napoléon III, surnommé Napoléon le Petit par le grand poète et écrivain Victor Hugo, n’a-t-il pas incarné le Second Empire ?

Souvenons-nous toujours, les mythes doivent éviter de trop s’exposer au risque de se briser ! … Le cas du président Mamadou Tandia en est une parfaite illustration. Pour se conserver, qu’ils restent dans les temples sous l’œil vigilant de leurs gardiens. Oui !!! Témoigner des événements du 26 mars 1991, il le faut bien !…

Le peuple malien et singulièrement les jeunes générations sont en droit d’attendre des acteurs qu’ils soient scrupuleux, c’est-à-dire qu’ils se sentent astreints à une rigueur intellectuelle, éthique et déontologique, morale et intellectuelle quand ils témoignent des faits.

Le 26 mars 1991 fut le couronnement d’une lutte opiniâtre qui a démarré pour beaucoup de Maliennes et de Maliens le 19 novembre 1968. En ces périodes-là, chaque fait, chaque événement était dense, constituait un cas d’école, était instructif.

Mais revenons aux faits récents. Nous sommes le jeudi 21 mars 1991, à 7h 30 – 45 le grand amphithéâtre de l’Ecole nationale de médecine, de pharmacie et d’odontostomatologie, encore tout neuf est archicomble. En me voyant à la porte, l’étudiant Hamadoun Bah vient vers moi, au milieu de discussions houleuses il me dit : Monsieur il n’y a rien à faire, les étudiants sont décidés à manifester demain…

Je le quitte et cours au rendez-vous pris avec le ministre secrétaire général de la présidence, à sa demande. Les échanges de points de vue durent deux heures.

Au moment de le quitter, je lui lance : je n’ai serré la main de ton patron que deux fois dans ma vie. Une première fois à Sikasso où il était venu se reposer à la ferme de thé de Farako. Aligné comme élément des corps constitués en tant que médecin chef de l’hôpital régional de Sikasso, le président de la Seconde République m’a serré la main à la descente de l’hélicoptère.

La deuxième fois, où il m’a serré la main, c’était à l’occasion de la présentation du premier bureau de l’Ordre des médecins présidé par le Pr. Bocar Sall. Mais, M. le ministre, c’est peut être prétentieux de le dire, je crois mieux connaître ton patron.

Aucune négociation n’aboutira avec lui. Il n’acceptera jamais l’ouverture et le pluralisme démocratique réclamés par l’UNTM et toutes les autres forces politiques notamment le Comité national d’initiative démocratique (Cnid) et l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adéma) sans que cette décision ne soit prise par « son » congrès !

C’est une idée fixe, c’est une obsession ; d’aucuns diraient de lui c’est un psycho rigide. L’histoire s’est accélérée, Moussa ne le réalise pas ; il n’en prend pas conscience, il entend encore et toujours les applaudissements du lumpen prolétariat, savamment et pendant trop longtemps orchestré par la junte militaire auteur du coup d’État du 19 novembre 1968. Les pauvres ! Ils n’étaient pas à même d’apercevoir la longue nuit qui s’annonçait et la chape de plomb qui allait tomber sur le pays pendant 23 ans. Pardonnons-leur, ils sont des innocents.

Quant à vous M. le ministre secrétaire général, je retiens des multiples entretiens que nous avons eus : vous avez fait tout ce que vous pouvez pour empêcher que le pays bascule dans la violence ; si nous n’avions pas eu ces longues conversations, je ne vous aurais pas connu et aurais cru que vous cherchiez, à travers le dialogue instauré, à gagner du temps pour votre patron. Malheureusement, monsieur le ministre, les enfants vont sortir demain et nous devons redouter un carnage !!!

Je quitte donc le ministre Django, convaincu que beaucoup de choses échappent à la plupart des membres du gouvernement, et notamment à ceux par l’intermédiaire desquels, le ministre Django Sissoko a pu être en contact avec moi.

Vendredi 22 mars 1991

A 10 h, il y a l’enterrement d’un camarade, Papa Maïga, ingénieur agronome, vieux militant de la démocratie, car ancien membre de l’Association des étudiants et stagiaires maliens en France (AESMF) section de la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (Féanf) et ancien membre du Comité de défense des libertés démocratiques au Mali (CDLDM). Son corps est arrivé jeudi nuit.

A 9 h, il faut partir pour Djélibougou. Au Stade Modibo Kéita, j’aperçois mon petit neveu Hammadoun Saïdou Ba dit Toka Mobbo élève en 6e année de l’école du Point « G », adossé au grillage du stade :

– U – Hum, gorel !

– Nous avons été dispersés par les forces de l’ordre, mamma !
– Qui t’a dit de te mêler à ça ? Rentre tout de suite à la maison !
Je continue en direction de Djélibougou très inquiet. Qui a bien pu mêler les élèves des écoles fondamentales à cette querelle entre grandes personnes, entre citoyens majeurs.

Au domicile de la famille du défunt, tous les camarades avertis sont là tristes et préoccupés. En effet, à quelques mètres de là les forces de l’ordre sont aux prises avec les scolaires (élèves et étudiants).
Les yeux rivés sur cette scène, je vois deux ou trois enfants tomber. Je serre la main aux amis et frères assis à côté de moi et leur dit mes regrets de ne pouvoir accompagner la camarade Papa Maïga à sa dernière demeure. Il faut rapidement rejoindre l’hôpital national le plus proche.

Auparavant, rencontrer les responsables du Front national démocratique et populaire (FNDP) s’avère une nécessité impérieuse. Simple réflexe de militant ! Les camarades Abderhamane Baba Touré et Kadari Bamba sont au domicile du 1er secrétaire du Parti malien du travail (PMT) pensifs, très concentrés, attendant une déclaration du président Moussa Traoré annoncé par l’ORTM pour être faite d’un moment à l’autre.

A 13 h 30, n’entendant aucune déclaration, nous décidons d’aller à l’hôpital Gabriel Touré. Sur notre parcours, Niaréla-hôpital Gabriel Touré, via l’hôtel de l’Amitié, le siège de la CMDT, la direction nationale de l’hydraulique, le Square Patrice Lumumba, le boulevard du Peuple, l’Assemblée nationale, nous voyons à maints endroits des flaques de sang, des douilles de cartouches, de grenades lacrymogènes et/ou de balles réelles qui jonchent le sol!

Les flaques de sang signent la gravité

La scène à Gabriel Touré est indescriptible : des cris, des larmes, des femmes hagardes viennent chercher leurs progénitures. Les médecins avaient pris soin de cacher les corps. Abderhamane et Bamba réalisent que ma place est ici à l’hôpital et pas ailleurs, ils me laissent et partent pour la Bourse du travail.

Fort heureusement à cette époque, j’ai toujours la trousse de médecin dans la voiture et fort heureusement aussi, je n’ai pas besoin de blouse habillé que j’étais d’un tricot blanc et d’un boubou Sékou Amadou qu’il fallait simplement ôter.

Avant de rejoindre le corps médical, le cinéaste Cheick Oumar Sissoko, qui, au risque de sa vie, filmait tout ce qui se passait me tire de côté et me dit : Ali il est urgent que les associations politiques et organisations démocratiques se retrouvent au sein d’une coordination qui dirigera désormais ce qu’il faut bien appeler une insurrection populaire.

Je lui donne mon accord et lui dit que les camarades Abderhamane Baba Touré et Kadari Bamba doivent être déjà à la Bourse du travail. Je suis sûr, ils approuveront tes idées. Va les rejoindre très rapidement !
Nous voilà dans une situation de médecine de guerre dans laquelle la chirurgie est naturellement au premier plan.

Les généralistes, les internistes sont réduits à identifier les lésions, à faire le bilan de l’état général des blessés, à diagnostiquer à temps les éventuelles hémorragies internes ; en somme à faire le tri entre ce qui relève des simples soins infirmiers et les malades qui doivent aller urgemment au bloc opératoire ou en salle de réanimation.

Nous nous mettons résolument à la tâche. Ce que le Mali compte de médecins et de chirurgiens afflue de partout à l’hôpital Gabriel Touré pour renforcer le corps médical en place, lequel ne peut qu’être débordé tant les victimes sont nombreuses. Le camarade Dr. Mohamed Chérif Cissé, urologue, avait lancé un appel sur Radio France International, aux médecins et aux donneurs de sang.

A 16 heures deux décisions sont prises avec l’approbation du directeur de l’hôpital Abdramane Tounkara, admirablement stoïque, imperturbable, il est procédé au transfert discret des corps des victimes de la répression de la salle où ils étaient entassés à la morgue, en vue d’éviter leur décomposition par la chaleur torride qui règne en cette fin de mois de mars.

Me Demba Diallo, de passage dans le cadre de la ronde qu’il fait en temps que président de l’AMDH convient avec nous que les victimes de la répression en cours sont des martyrs.

Il est en conséquence inadmissible qu’ils soient enterrés en catimini, chacun par sa famille ; ils devraient tous avoir une sépulture dans le même cimetière et digne des sacrifices qu’ils ont consentis. Pourquoi pas le cimetière de Niaréla qui est celui des fondateurs de la ville de Bamako ? Par leur sang, ces martyrs sont en train de refonder le Mali et sa capitale.

Partageant totalement l’idée, géniale selon lui, Me Demba est reparti débordant d’énergie et de témérité comme d’habitude. S’en fout la mort, n’est-il pas son cri de guerre ! Comment obtint-il des autorités de la ville de Bamako cette portion de terre, baptisée aujourd’hui le Carré des Martyrs ? Je ne le sais pas. Mais pouvait-il seulement échouer vu son bagout, son éloquence, sa vaste culture, son don de toucher la raison et le cœur des humains.

Dors en paix Me Çà Goloba, figure emblématique de l’insurrection populaire de janvier, février et mars 1991. Cette journée du 22 mars 1991 a été harassante pour le corps médico-social malien. Le Mali peut être fier de la ténacité, de la pugnacité, de l’endurance dont a fait preuve ce corps durant les jours de folie.

A minuit, après une contre visite qui permet de découvrir le petit Yalcoué à « l’abdomen chirurgical », nous remontons avec lui à l’hôpital du Point « G » et le confions à l’équipe du Dr. Delaye qui travaille toute la nuit pour sauver cette autre victime innocente !
Le samedi 23 mars 1991

Comme à l’accoutumée la Coordination des associations et organisations démocratiques est en conclave à la Bourse du travail. Les équipes mobiles sont en état d’alerte permanente. A 10 h ou 11 h, il nous est signalé un véritable massacre au Sahel Vert et une mutinerie à la Prison centrale de Bamako que les éléments de la garde nationale tentaient de contenir.

Me M’bam Diarra, Me Mamadou Danté de l’Association malienne des droits de l’Homme (AMDH) et votre serviteur partons précipitamment à la Prison centrale. A l’approche de cette bâtisse, par dérision appelé « Université populaire », les forces de l’ordre tirent en l’air en guise de sommation une première fois, puis une seconde fois en nous voyant avancer.

Me M’bam Diarra au volant, s’arrête un moment tenant compte de l’insistance des policiers et surtout des éléments de la garde nationale. En blouse blanche, stéthoscope au cou, je descends de la voiture, je tente d’avancer en criant fort, je suis de la commission médicale, venue au secours des blessés.

En guise de réponse, de nouveau des tirs en l’air. Me M’bam Diarra sort de sa voiture et d’un pas déterminé court après moi, me soulève littéralement, me jette à l’arrière de sa vieille 504 et démarre : tu ne vois pas, Ali, que dans l’état où se trouvent ces hommes, ils n’épargneront même pas les hommes de la Croix-Rouge. Tu es vraiment fou, jeune homme assène ma camarade d’Université. Mes M’bam Diarra et Mamadou Danté me ramènent à la Bourse du travail et repartent en mission.

Les techniciens supérieurs de la santé, Seydou Traoré, secrétaire général du Syndicat de la santé et des affaires sociales, Daba Diakité, Blo Samaké et moi-même filons à toute vitesse au lieu-dit.

Nous découvrons l’horreur que le Pr. Aly Guindo, arrivé avant nous, adossé au mur de la poste, regardait d’un œil philosophe bien que consterné. Nous échangeons avec lui quelques mots sûrement dictés par le drame.

Nous retournons précipitamment à la Bourse du travail. Nous nous croyons autorisés à interrompre la réunion de la Coordination pour inviter le président Bakary Karambé et le vice-président le Pr. Abderhamane Baba Touré à venir constater eux-mêmes le crime commandité par un pouvoir aux abois.

Le secrétaire général est resté figé devant les corps entremêlés qui finissaient de se calciner. Il n’arrivait pas à quitter des yeux la dernière touffe de cheveux d’une dame, encore en feu.

Décidément, le patron de l’UDPM et chef suprême des armées a tenu parole : n’a-t-il pas promis de ceindre la tête des Maliens d’une couronne d’enfer ? Eh bien : voilà qui est fait. Dormez en paix, soldats inconnus qui étiez résolus à vaincre ou mourir, ai-je soupiré pendant que le président Bakary Karambé se recueillait, silencieux, grave devant ces martyrs avant de les confier à Dieu dans sa prière. Le temps presse. Il faut arrêter les mains criminelles.

Interrompre le recueillement du chef de l’insurrection en train de naître s’impose. Doyen ! Viens rentrons à la Bourse du travail. Je tentai en arrivant de narrer ce que nous venions de voir. Trêve de discours ! Je décrète la grève générale illimitée. Karambé file au balcon et répète à l’adresse de tous les insurgés : grève générale illimitée.

Les travailleurs qui, lors du conseil central extraordinaire de l’UNTM, tenu du 28 au 29 mai 1990 avaient rejeté en bloc le dirigisme politique entravant le développement de la démocratie au Mali, demandé la déconstitutionnalisation de l’UDPM et la révision générale de la Constitution proclamée la nécessité d’un pluralisme démocratique et du multipartisme, venaient de remporter une grande bataille.

Les partis et fronts politiques investis dans la lutte durant de longues années contre la dictature de la caste militaire au pouvoir, une minorité au sein des Forces armées et de sécurité, venaient de remporter une grande bataille.

Désormais la jonction du front politique et du front social est établie. Il a alors été aisé de prendre la décision d’envoyer une délégation de la Coordination des associations et organisations démocratiques conduite par son président Bakary Karambé et son vice-président le camarade Pr. Abderhamane Baba Touré, réclamer sa démission au président Moussa Traoré dès dimanche 24 mars 1991.

Une lettre est rédigée à cet effet. Me Drissa Traoré, président du Barreau malien est porte-parole officiel de la Coordination des associations et organisations démocratiques. Voilà deux jours que la ville de Bamako est en insurrection et peut être pas elle seule. Voilà deux jours que les forces de l’ordre tirent à balles réelles sur les marcheurs, sur les insurgés.

Le pays pleure plusieurs morts et déplore plusieurs blessés, déjà, en cette deuxième journée de soulèvement populaire.
Il est 22 h ou 23 h, un officier supérieur frappe à la porte. L’initiative en elle-même de rendre visite à un marcheur, supposé dirigeant déterminant du processus en cours ; le contenu de la conversation sont symptomatiques du climat qui prévaut en ce mois de mars 1991 où le Mali est face à son destin.

Vous vous souvenez, Pr., que je vous avais déconseillé en 1986-1987 de laisser les camarades descendre dans la rue ! Vous vous souvenez que j’avais mis en avant les risques de dérapage. Il suffirait aux soldats envoyés pour le maintien d’ordre, de voir le sang d’un des leurs, blessé par des jets de pierre pour qu’ils chargent les manifestants et tirent… La répression deviendra rapidement sanglante.

L’idée des forces armées et de sécurité retournant leurs armes contre les ennemis du peuple au lieu de tirer sur leurs enfants, leurs frères et sœurs, leurs mères et leurs pères, risque de n’être que théorique quand les sous-officiers et hommes de rang n’ont pas été longtemps sensibilisés !

L’esprit de corps prévaudra à la vue du sang d’un seul soldat. Les faits m’ont donné raison, Pr. Bien sûr je déplore toutes ces vies innocentes arrachées à notre affection. Je viens vous proposer : il faut arrêter les marches. Il faut, à la rencontre de demain avec le président de la République accepter tout ce qu’il vous proposera. Nous, Forces armées et de sécurité, le neutraliserons.

Mon commandant, même si je pouvais arrêter les marches, je ne le ferais pas, car ce serait engager le Mouvement démocratique dans la voie de l’extermination. A l’heure actuelle, aucun dirigeant ne voudra, ne pourra même s’il le veut, arrêter le peuple malien qui s’est mis tout entier en mouvement pour mettre fin à la dictature, à la confiscation des libertés individuelles et collectives, à la misère généralisée.

Professeur, sachez que nous officiers et sous-officiers, ne concevons pas que des civils arrêtent un général dans son palais ; nous ne pouvons pas laisser faire cela ! …

Mon commandant, si jamais vous continuez demain à tirer sur le peuple aux mains nues, nous armerons lundi les marcheurs ; nous ne pouvons pas à l’avenir laisser tirer sur nous comme des poulets sans riposter. Désormais des hommes armés seront face à des hommes armés !
Mais professeur, ce sera la guerre civile !…

Je ne vous le fais pas dire, mon commandant ! Vous savez, jamais plus il ne nous sera dit : où étiez-vous, quand nous avons couru le risque de nous faire trouer la peau ? Nous ne donnerons l’occasion à personne de nous dire qu’il a pris le pouvoir sans nous demander la permission. Personne ne nous rappellera que le président Mao Tsé Toung a dit « le pouvoir est au bout du fusil ».

A présent nous avons accumulé des expériences. En 1963, après les « Trois journées glorieuses », M. Massamba-Débat est investi par le mouvement social dirigé par les syndicats. Rapidement un coup d’Etat est perpétré dirigé par Marien N’gouabi, militaire, mais physicien émérite ; élève du Pr. Abdou Moumouni Djoffo, membre fondateur du PAI et premier directeur du Centre régional de l’énergie solaire (CRES).
Par la suite, les intellectuels civils connaissent un triste sort. Dalla Graille est neutralisé.

Ange Diawara est assassiné sous maquis. Après ce fut le tour du capitaine Marien N’gouabi de tomber sous les balles de ses compagnons d’armes. Le Pr. Pascal Lissouba retourne à ses chères études de génétique à l’Institut Pasteur de Paris. Henri Lopez enrichira la littérature africaine à l’Unesco.

Nous ont également fortement instruits, mon commandant, la coopération dans la prise et l’exercice du pouvoir du groupe du capitaines Mathieu Kérékou et de la Ligue nationale de la jeunesse patriotique dahoméenne (LNJP) dirigée par le camarade Simon Ogouma, au futur Bénin, et celle du colonel Mengistu Haïlé Mariam avec les anciens du Mouvement étudiant éthiopien.

Les leçons tirées du partenariat des jeunes officiers révolutionnaires de la Haute-Volta, plus tard baptisé Burkina Faso avec les militants de la Lipad (Ligue patriotique pour le développement) et d’autres organisations progressistes, seront plus significatives encore.

Les camarades Adama Touré, Philippe Ouédraogo, Hama Arba Diallo et Zoumana Touré seront internés à Pô. Le Pr. Joseph Ki-Zerbo, le Dr. Seydou Diallo tous deux du Mouvement de libération national (MLN), les camarades Basile Guissou, Valère Somé et bien d’autres prendront le chemin de l’exil…

L’assassinat du capitaine Thomas Sankara, de Lingani et Zongo va secouer et inciter à une réflexion approfondie les démocrates africains civils et militaires. « On a assassiné l’espoir ! » de Sennen Andriamirado devient un livre de chevet commun à beaucoup de militaires et civils en quête de démocratie.

Vous le savez sûrement, le général Vo Nguyen Giapp, le héros de Dien Bien Phu est historien ; le commandant Fidel Castro est avocat, Ernesto Che Guewara est médecin.

Le métier des armes, mon commandant, peut être appris par des patriotes résolus à sauver leur pays, surtout s’ils sont des sous-officiers et des officiers de réserve, grâce à la PME (Préparation militaire élémentaire), à la PMS (Préparation militaire supérieure) et au SNJ (Service national des jeunes).

– Chat échaudé craint l’eau froide !

– C’est non, mon commandant !

– Nous n’arrêterons pas les marches !

– Nous n’accepterons pas demain dimanche 24 mars 1991 tout ce que le général président dira à notre délégation.

– N’y a-t-il pas un terrain d’entente professeur ?

– Si mon commandant ! Vous m’aviez dit dès 1986 ou 1987 que vous êtes organisés. Alors amenez-nous votre projet de société et votre programme. Mettons-nous à table. Élaborons un projet de société et un programme communs. Ayons une même direction au sein de laquelle le politique commande au fusil !

L’entente est scellée sur cette base : le commandant doit apporter les documents (projet de société et programme de son organisation militaire) le lundi 25 mars 1991 entre vingt-deux heures et vingt-trois heures.

Ce rendez-vous n’a pas pu être respecté et pour cause !…
Mardi 26 mars1991. Il est zéro heure 45. « Fulaw Lagaren », chargé de ma sécurité par le FNDP (Front national démocratique et populaire), tape à la fenêtre et dit : « Ils ont pris Moussa ! »
Nous nous retrouvons rapidement en ces temps où chacun dormait habillé, toujours prêt à monter au front !

Nous nous précipitons dans la R12 et fonçons sur Bamako. Il est une heure du matin. Des « bérets rouges » nous arrêtent dès la sortie du village du Point G.

Les jeunes gens nous reconnaissent et nous prient de faire demi-tour. « Nous avons encore quelques comptes à régler entre nous ! » nous lancent-ils, avec un ton sympathique mais ferme.
Nous faisons demi-tour, et fort heureusement, arrivons juste à temps devant le pavillon Bernard Duflo, pour empêcher ce qui aurait pu être une énorme bavure du Mouvement démocratique : l’assassinat, dans son lit, du Pr. Souleymane Sangaré. Des faibles d’esprit et fragiles de nerfs diversement armés voulaient coûte que coûte rendre une visite criminelle à un grand maître de la Faculté de médecine, de pharmacie et d’odontostomatologie.

Quelle perte immense ces excités auraient causée à la nation malienne ! Ce fut l’occasion d’expliquer la philosophie du Mouvement démocratique : il combattait un régime, un système économique et politique. Il n’en voulait à personne, individuellement !

Même pas au général Moussa Traoré en tant qu’individu. Même lui devrait être protégé de la vindicte populaire afin qu’il rende compte de ses actes devant la justice de son pays, avant bien sûr de répondre devant son créateur qui, lui, sait tout ce qu’il a fait de bien comme de mal.

 » Fulaw Lagaren » et moi-même poussons un ouf de soulagement, quand les uns après les autres, ceux qui étaient prêts à perpétrer le crime jettent leurs armes : piques, pioches, bâtons, coupes coupes etc.
Nous allons garer la voiture. Nous réalisons qu’en pareilles circonstances pullulent des bandes organisées prêtes à des règlements de compte personnel sans aucun rapport avec la révolution.

Qui sait si ce n’est pas à la même heure que le Pr. Bakary Traoré, ministre de l’Education, éminent mathématicien, brillant intellectuel, militant de l’Unesco est allé au rendez-vous avec ses meurtriers : crime, au demeurant, plus crapuleux que politique !… Perte immense pour le peuple malien, pour la démocratie, la science et la culture !

Les circonstances de cet assassinat restent encore obscures dix-neuf ans après. Le Mouvement démocratique devrait s’attacher à clarifier cette sombre histoire à tous égards condamnable.

C’est sûrement une tâche de la République de réhabiliter cet homme de sciences, de culture, pieux, et de prendre soin de ses enfants. Mieux vaut tard que jamais !…
La R12 garée, l’aîné et le cadet arpentent le vaste espace de l’hôpital du Point « G » en direction du stade Modibo Kéita.

Nous sommes silencieux, songeurs, encore sous le choc de la danse macabre que nous venons de vivre.

La faim, les vexations, les humiliations, les frustrations, la vue de scènes horribles expliquent peut-être, mais ne justifient nullement de telles pulsions criminelles !
Les deux frères procèdent à des échanges d’idées sur l’avenir du Mali, sur les instruments idoines des grands changements à opérer dans le pays !

Six heures, déjà !

Il faut à présent tout faire pour rejoindre la direction nationale de la Coordination des associations démocratiques. C’est ce que « Fulaw Lageren » et son aîné avaient tenté dès une heure du matin.
Cette fois-ci, il ne faudrait pas échouer.

Nous prenons l’ambulance de l’hôpital du Point « G ». Nous nous mettons tous les deux en blouse blanche. Nous demandons au chauffeur d’allumer le gyrophare et de mettre en marche la sirène. Nous sommes effectivement en urgence. Nous arrivons en trombe à l’hôpital Gabriel Touré.

De Gabriel Touré étonnamment vide, nous fonçons en direction de la Bourse du travail, siège de la Coordination des associations et organisations démocratiques, depuis le début de l’insurrection généralisée. Il est environ 8 h 30.

La quasi-totalité des membres de l’état-major de l’insurrection populaire sont-là. Arrive un jeune lieutenant qui, après un garde-à-vous impeccable demande :
Qui est le professeur Abderahmane Baba Touré ?

– C’est moi, répond Abderahmane avec son humilité habituelle.
– Le jeune lieutenant : Le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré vous invite à vous rendre à la Maison du peuple.

– Abderahmane : Qui est celui là ?

– Le jeune lieutenant visiblement surpris : Je vous dis le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré, président du CRN !
– Abderahmane : Encore une fois qui c’est celui-là ? Et quel est ce machin qu’il préside ?

Le président de l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adéma) et numéro deux de la Coordination des associations et organisations démocratiques, réalisant l’embarras, le désarroi même du jeune lieutenant lui dit :

– Tenez, mon lieutenant, je vais vous aider. Allez dire à celui qui vous a envoyé de répondre à deux questions : Qui vient de prendre le pouvoir au Mali ? A l’heure où nous sommes, où se trouve le pouvoir ? A la Bourse du travail où se trouve le Mouvement démocratique ou à la Maison du peuple où se trouve votre employeur ? Selon les réponses données à ces deux questions, je saurais qui est le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré et qu’est-ce que c’est que le CRN.
Tour à tour, le jeune lieutenant s’est adressé aux différents chefs des associations membres de la Coordination présents.

Tous, ont dit, le doyen Abderahmane a exprimé notre position.
Le jeune lieutenant est retourné à la Maison du peuple.
Peu de temps après, tout le CRN (Comité de réconciliation nationale), ayant à sa tête le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré est arrivé à la Bourse du travail.

Ma maîtrise de la plume ne me permet pas de décrire et surtout de rendre l’atmosphère dans laquelle ont baigné les voisins de la Maison du peuple, venus rendre visite à l’aile civile du Mouvement démocratique.
Espérons que le directeur Sidiki N’fa Konaté, comme ses prédécesseurs, veille sur les archives sonores et visuelles du Mali comme il veille sur la prunelle de ses yeux.

Espérons que les cassettes sur l’arrivée du Comité de réconciliation nationale (CRN) à la Bourse du Travail pourront être projetées intégralement à la demande des citoyens malgré le malheureux et regrettable incendie de la bibliothèque de l’ORTM.

Ce jour-là donc, des képis étaient arrachés, jetés en l’air avec des jurons frisant parfois l’indécence, l’obscénité. Les insurgés scandaient : « An te korolen fe ! Fo kura ! Kokaje, Kokaje ! Kokaje ! Mariko ! Mariko ! Mariko ! »

Les visiteurs ne semblaient pas être les bienvenus… Le souvenir des camarades, des frères, des sœurs, des filles et des fils morts ainsi que les visages des nombreux blessés (25), hantaient encore les esprits, annihilaient toute réflexion chez ces filles et garçons en colère.

Au milieu du brouhaha et des bousculades des officiers qui s’efforçaient de se frayer le chemin pour accéder à la salle de réunion du bureau de l’UNTM, la voix de son secrétaire général Bakary Karambé s’élève :
– Camarades ! Laissez les passer ! Ce sont nos hôtes, respectez nos hôtes camarades !

Naturellement, tous les dirigeants du Mouvement démocratique civil, ont compris la nécessité de relayer le message du président de la Coordination des associations et organisations démocratiques, d’obtenir le calme et de fraterniser avec ce qui a été appelé par beaucoup d’acteurs civils, l’aile patriotique et républicaine de l’armée.
Rapidement le service d’ordre du Mouvement démocratique improvise une sorte de haie d’honneur, et fraie le passage aux visiteurs.

Après une heure ou deux heures d’entretien entre le CRN et la Coordination des associations et organisations du Mouvement démocratique, M. Karambé et Amadou Toumani Touré entourés de leurs collègues apparaissent au balcon.

L’hôte et le maître des lieux prennent la parole. Ce sont les mots du lieutenant-colonel qui étaient attendus :

– Oui ! Le pouvoir se trouve au moment où nous sommes à la Bourse du travail. C’est bien le Mouvement démocratique qui a pris le pouvoir. Nous, militaires n’avons fait que parachever votre œuvre ; nous n’avons fait qu’apporter notre toute petite pierre.

Des applaudissements nourris accueillent ce discours.
Beaucoup parmi les civils y voient un coup de génie et tiennent les propos comme une marque d’une grande humilité.

Peu importait ce jour-là, si la pierre devait changer de taille par la suite, dans la bouche de l’auteur au gré des circonstances. Nous venons d’écarter tout risque de guerre civile, Al Hamdu lillâhi ! Rendez-vous a été pris pour l’après-midi à 15 h à la Maison du peuple.

Le futur premier président de la IIIe République, Alpha Oumar Konaré, m’embarque dans sa Renault 12 en direction de Lafiabougou. Il m’explique qu’il faut nécessairement inclure la rébellion dans le nouvel organe dirigeant du pays. Je l’approuve entièrement.

Ne percevions-nous pas ces compatriotes, comme aussi des démocrates, mais en armes pour se faire mieux entendre par la dictature en place.
Nous retrouvons Mohamed Ag M’Baye du MPA (Mouvement populaire de l’Azawad). Son second du FIAA (Front islamique arabe de l’Azawad) était absent.

Alpha Oumar Konaré informe Ag M’Baye que lui et son camarade doivent être à 15 h à la Maison du peuple pour une réunion entre le Comité de réconciliation nationale, la Coordination des associations et organisations du Mouvement démocratique et les organes dirigeants de la rébellion du Nord-Mali.

J’ai été témoin de tout cela à la Bourse du travail, ce mardi 26 mars 1991 ; par contre je n’étais pas à la Maison du peuple.
Mais je peux affirmer : ceux qui ont été étiquetés « trop pressés de prendre le pouvoir » ont proposé une durée de la transition de dix-huit mois. C’est le Comité de réconciliation nationale, aile militaire du Mouvement démocratique, qui semblait très pressé de partir, et avançait une durée de neuf mois.

Les membres du CRN ne voulant pas s’éterniser au pouvoir, entendaient rejoindre rapidement leurs casernes. Diable ! Pourquoi certains d’entre eux tenaient-ils tant à afficher un tel empressement à partir et à défiler le 22 septembre 1991 devant le 1er président démocratiquement élu de la IIIe République ?

Après d’âpres discussions, la durée de douze moi (un an) a été retenue. Durée de toute évidence insuffisante pour nettoyer les écuries d’Augias et mettre le Mali et sa démocratie sur de bons rails ! Inutile de dire que nous sommes restés pleins d’interrogations, surtout que nous n’avons pas compris cette tentative de faire prêter allégeance le Mouvement démocratique civil au CRN, en invitant, un à un, les membres de la Coordination à se rendre à la Maison du peuple.

D’avoir déclaré introuvables cette nuit du 25 au 26 mars 1991, les autres membres de la Coordination des associations et organisations démocratiques hormis le secrétaire général de l’UNTM, M. Bakary Karembé et Me Demba Diallo, président de l’AMDH, renforce nos interrogations et nous perturbe.

Est-on en train de suggérer que le président Abderahmane Baba Touré, les vice-présidents Mamadou Lamine Traoré, Halidou Touré, Soumeylou Boubèye Maïga, Mme Sy Kadiatou Sow de l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adéma), les responsables Cheick Oumar Sissoko, Amidou Diabaté, Modibo Diakité du Comité national d’initiative démocratique (Cnid), les responsables de l’AEEM Oumar Mariko, Moussa Balla Diakité, Hamadoun Ba, Oumar Arboncana Dicko, Kassoum Barry ; ceux de la Jeunesse libre et démocratique (JLD) Berthé, Oumar Wagué et Tiéoulé Diabaté

; Moussa Kéïta de l’Association de la jeunesse démocratique et progressiste (AJDP) ; Sidi Camara de l’Association des demandeurs et initiateurs d’emploi (Adide) étaient planqués, à l’abri de tout danger et donc susceptibles de sortir de l’ombre, de voler au secours de la victoire et de se mettre à table !

Comment peut-on faire croire que ces hommes et femmes étaient introuvables ? Peut être que le Mouvement démocratique, le peuple malien tout entier, ne tarderont pas à avoir des réponses aux questions qu’ils se posent depuis 19 ans si les témoignages continuent…

Totalement d’accord que nul ne peut s’approprier seul l’avènement du 26 mars. Au demeurant, se croire seul auteur de l’avènement du 26 mars 1991, s’approprier soi seul cette grande victoire du peuple malien relève tout simplement de la fatuité.

Les Forces armées et de sécurité du Mali comprennent dans leurs rangs des officiers, sous-officiers et hommes du rang de grande qualité. C’est certain ! Ils ont été élèves, des instituteurs, des maîtres des premier et second cycle, des professeurs des lycées et collèges.

Ils doivent plus particulièrement une partie de leur savoir à d’éminents professeurs du lycée de Badalabougou et de l’Ecole normale supérieure (EN Sup), foyers de contestation de la dictature militaire et hauts lieux de réflexion, d’analyse, de remise en cause de la société malienne et de l’ordre mondial en cours.

Beaucoup parmi ces professeurs ont connu des détentions arbitraires dans des camps militaires, des brimades, des bastonnades, des tortures, des emprisonnements pour délit d’opinions.

Ces officiers, sous-officiers et hommes de rang ont été soignés par le détachement du Mouvement démocratique au sein des centres de santé d’arrondissement, de cercle, des hôpitaux régionaux et nationaux. Ils ont été défendus par Me Demba Diallo et bien d’autres avocats, démocrates et hommes de progrès.

L’osmose entre les Forces armées et de sécurité d’une part, les hommes et les femmes qui ont animé le Mouvement démocratique d’autre part, a été réelle dans les trente années qui ont précédé le 26 mars 1991. Ils se sont servis mutuellement de couverture, de boucliers, d’armure. Travaillons à ce qu’il en soit toujours ainsi.

L’arrestation du général président est l’œuvre de l’ensemble des Forces armées et de sécurité (FAS). Elle n’aurait pas pu se faire sans l’implication de la sécurité rapprochée du président de la IIe République du Mali. C’est le bon sens qui permet d’affirmer que la participation de « l’ancien de Darsalam » et de ses condisciples à l’ETP, élèves du professeur Abderahmane Baba Touré ; celle de l’aide de camp d’alors du président Moussa Traoré, des anciens chefs de la Sécurité d’État (SE) et de celui en fonction étaient incontournables pour la mise hors d’état de nuire du chef de l’UDPM et l’arrêt du bain de sang.

Nul ne s’avisera à nier l’importance décisive de l’apport des FAS à l’insurrection populaire entamée les mains nues, de façon larvée dès janvier et février 1991. Les expériences du Togo et du Zaïre devraient être une source de méditation pour les révolutionnaires africains et maliens des années 1990.

Une question demeure cependant. Pourquoi avoir attendu les carnages des 22, 23, 24, 25 mars 1991 pour intervenir alors que le ministre de la Défense, les chefs de la gendarmerie, de la police, les chefs de la sécurité rapprochée du président et notamment les bérets rouges étaient tous d’accord pour mettre fin à la situation économique catastrophique, à la situation politique bloquée, à la situation sociale de misère du pays ?

A cet égard, la déclaration lue, lors de la Conférence nationale Souveraine, au nom des Forces armées et de sécurité par le colonel d’aviation Karamoko Niaré présentant les excuses des démocrates en uniforme et demandant pardon au peuple est édifiante et riche d’enseignements. Elle procède d’une culpabilité fortement ressentie.

Prions pour que jamais plus, l’armée malienne et les Forces de sécurité ne soient mises en situation d’être obligés d’intervenir, ni d’avoir encore à demander pardon au peuple malien. Il se peut que ce peuple n’ait pas toujours la victoire aussi modeste et généreuse qu’en 1991.

Vivement que les langues et les plumes se libèrent comme le chef de la Transition entamée le 26 mars 1991 les y invite ! Les Maliens connaîtront davantage leur histoire récente.
La Conférence nationale tenue du 29 juillet au 12 août 1991 ? Parlons en !
Moment intense, moment dense, moment passionnant et passionné. Moment d’expression de toutes les attentes du peuple. Et elles étaient nombreuses ! Ces attentes étaient nettement au-dessus des moyens de l’État et de la nation. La conscience des droits des citoyens était hypertrophique tandis que celle des devoirs est atrophique.

La mise en œuvre de la Constitution, de la charte des partis, du code électoral issus de cette sorte d’États généraux de la nation, n’était pas chose aisée d’autant qu’il était évident que les foyers allumés à Taïkaren, à Tégarrar, à Tawardé n’étaient que couverts de cendre. D’autres foyers pouvaient naître à Timitrine ou ailleurs.

Douze mois paraissaient, en conséquence, nettement insuffisants pour nettoyer les écuries d’Augias et ne laisser aucune peau de banane aux successeurs du CTSP et de son gouvernement.

Les grandes manœuvres au sein de la Conférence nationale ne pouvaient pas échapper à tout observateur attentif, encore moins aux vieux clandestins blanchis sous le harnais de la lutte pour l’indépendance nationale et la liberté, puis contre la dictature des prétoriens du 19 novembre 1968.

Que voulaient les agitateurs grouillants au sein des participants à la Conférence ? Changer l’orientation, l’essence même de la Transition ? Muer l’instance suprême de la Transition, le CTSP, en une sorte de Haut conseil de la République (HCR) ? Ce n’était pas qu’une question de sémantique !

Faire légitimer le président du CTSP par la Conférence nationale et faire élire par celle-ci un nouveau Premier ministre ? Cette Conférence qui est pressentie comme une instance au-dessus de la Coordination des associations et organisations démocratiques.

Le Premier ministre Soumana Sako s’est-il avéré, à la pratique, moins manipulable qu’il était l’espéré ? Existait-il une tentative visant à amener la Conférence nationale à opter pour une longue transition ? Le temps permettra sans doute, un jour, aux historiens de répondre à ces questions.

Toujours est-il que, lucide, ayant l’intelligence des situations et des rapports de forces, stratège en somme, le président de la Conférence nationale a déclaré clos les débats sur la durée de la Transition avant même qu’ils ne soient engagés.

Son argumentaire du moment a frappé les esprits et reste encore gravé dans les mémoires qu’il a cru devoir rafraîchir par moments lors de sa dernière interview du 28 mars 2010.

Personne donc n’a été surpris de l’entendre dire en substance et en guise de conclusion à ses quatorze mois d’exercice du pouvoir : « Seul un fou cherchera à diriger le Mali ». Il a été conséquent avec lui-même et s’en est allé… Pour beaucoup de maliens et de maliennes, il a dû changer de jugement et d’avis en se présentant comme candidat à la magistrature suprême en 2002.

Dix ans s’étaient écoulés entre-temps, il est vrai !

De nouveau, le chef de l’État de la Transition, président de la République depuis bientôt huit ans dit à satiété être pressé de quitter Koulouba dès la fin de son 2e et dernier mandat constitutionnel pour se consacrer à ces petits-enfants, à des activités champêtres et à la prière. Il est en somme pressé de cultiver son jardin !

De toute évidence, il est agacé, voire exaspéré par le scepticisme des Maliennes et des Maliens. Pourquoi ne le croient-ils pas ? Qu’Allah le Tout Puissant ancre dans son cœur, dans son âme et dans son esprit sa détermination à partir en beauté, laissant en chantier sa grande reforme institutionnelle, estimé de certains, aimé de beaucoup et respecté de tous pour avoir été l’homme d’honneur, le noble que sa seule parole à lié !

Que Dieu le prémunisse contre les fabricants de gadgets en vue de le maintenir au pouvoir, honni des Maliens, méprisé des nobles respectueux de leur parole et contraint à une nouvelle transition pour gérer un chaos ! Qu’à Dieu ne plaise…

C’est le risque auquel l’exposera la tentative de passage en force, dans la précipitation, sans large consultation nationale du projet de loi constitutionnelle confus, concocté par le Comité d’appui aux réformes institutionnelles (Cari) !

Vigilance donc démocrates et républicains !

Bamako le 9 mai 2010

Pr. Ali Nouhoum Diallo

(élève du Pr. Aderhamane Baba Touré, 1er président de l’Alliance pour la démocratie au Mali, créée le 24 octobre 1990)

17 Mai 2010.