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« Le renouveau de l’alphabétisation face aux défis africains et internationaux » est le thème de la Conférence régionale panafricaine sur l’alphabétisation dans le monde qui s’ouvre ce matin au Centre international des conférences de Bamako (CICB, 10- 12 septembre 2007). Une dizaine de premières dames du continent sont annoncées à cette rencontre capitale pour redonner à l’alphabétisation toute l’importance qu’elle mérite.

Aux côtés des premières dames, des experts, des décideurs… des ONG seront aussi de la fête pour le plaidoyer. Pour elles, il s’agit d’amener les Etats africains à octroyer 3 % de leurs budgets de l’éducation à l’alphabétisation. Une condition sine qua non, selon elles, pour atteindre l’Education pour tous (EPT) d’ici 2015.

Toutes les stratégies sont donc envisagées par les ONG très actives sur le front de l’alphabétisation pour véhiculer leurs messages de plaidoyer. C’est ainsi que la cérémonie d’ouverture de ce matin sera précédée d’une marche initiée par l’ONG « Jeunesse et développement » et ses partenaires comme Pamoja Afrique de l’Ouest.

Celle-ci partira de la Faculté des lettres, des langues, arts et sciences humaines (Flash), à 8 h, pour le CICB. Comme l’a souligné le directeur de Jeunesse et développement, Mamadou Koné, il s’agit « d’accroître la mobilisation sociale en vue de renforcer l’adhésion en faveur de l’alphabétisation et la prévention du VIH/Sida dans le cadre de la Conférence régionale panafricaine de Bamako ».

Une mobilisation nécessaire dans la mesure où on est loin de relever le défi consistant à amener nos gouvernements à accorder l’importance requise à l’alphabétisation des adultes. « Le monde n’est pas sur la bonne voie pour réaliser les six objectifs de l’EPT. Atteindre ces objectifs, dont celui de la qualité, exige des changements politiques et des ressources plus importantes de la part de la communauté internationale » , avait souligné l’ex-directeur du Bureau multi-pays de l’Unesco à Bamako, Edouard Makoto, lors de la présentation d’un rapport au président de l’Assemblée nationale du Mali en juillet 2006.

De nombreuses organisations internationales sont prêtes à jouer leur partition, à condition que les Etats africains s’engagent à consacrer à l’alphabétisation 3 % du budget alloué à l’éducation contre seulement 1 % présentement dans la plupart des pays.

La marche d’aujourd’hui sera suivie demain d’une conférence de presse. Elle avait déjà été précédée d’une caravane qui a sillonné les régions frontalières communes au Mali, à la Guinée et au Sénégal. Elle avait pour objectif d’informer et de sensibiliser les populations concernées sur l’alphabétisation et le VIH/Sida.

La caravane a également recueilli l’avis des communautés concernées sur ces questions. Ces réactions seront prises en compte dans le document de plaidoyer élaboré en vue de la conférence de Bamako.


Moussa Bolly


L’ALPHABETISATION AU MALI

Une expérience à capitaliser

Le choix du Mali pour abriter la Conférence régionale panafricaine sur l’alphabétisation dans le monde n’a rien de fortuit. Notre pays est l’un des premiers à s’engager dans cette voie en Afrique. Même si la volonté politique n’a toujours pas été à la hauteur des ambitions dans ce domaine, le pays peut se prévaloir d’une grande expertise en la matière.

L’alphabétisation est un cycle d’apprentissage continu conduisant l’analphabète (personne qui ne sait ni lire ni écrire) à l’acquisition de la lecture, l’écriture et le calcul dans sa langue. D’une manière générale, il s’agit de lui inculquer une culture écrite afin d’acquérir une certaine autonomie et de mieux prendre sa place dans cette société de culture écrite.

L’Alphabétisation pour tous, comme prôné par la décennie instituée à cet effet, inclut tout le monde : enfants et adultes, filles et garçons, femmes et hommes, familles et communautés, les zones urbaines et rurales, à l’intérieur… Et, afin que l’alphabétisation pour tous soit véritablement au service de tous sans exception, l’Unesco attire l’attention des décideurs et des communautés sur les besoins et la situation des couches les plus marginalisées et les plus défavorisées.

Et on ne dira jamais assez les avantages de l’alphabétisation dans les politiques de développement à travers les combats contre la pauvreté, le VIH/Sida… Comme l’a dit une femme, dont le témoignage a été recueilli par l’Institut pour l’éducation populaire (IEP) de Kati : « Avant, je ne savais pas lire et je ne pouvais jamais exprimer mon opinion. Puis j’ai commencé à apprendre avec les autres femmes de mon village. Ma situation s’est améliorée au sein de ma famille et de ma communauté ».

Dans les zones rurales, la capacité de gagner sa vie d’une grande majorité de femmes est liée inextricablement à l’alphabétisation. Aujourd’hui, il n’est pas rare de rencontrer des groupements de femmes alphabétisées qui ont pris leur destin en main, qui gèrent leurs coopératives en vraies professionnelles avec des notions précises de comptabilité.

Au Mali, les premiers cours d’alphabétisation ont commencé en 1960. C’est dire que notre pays a été l’un des premiers Etats africains à ouvrir des centres d’alphabétisation. Malheureusement, malgré cet engagement dès le début des indépendances, plus de la moitié de la population malienne est encore analphabète. Un fléau qui touche majoritairement les femmes à cause de nombreuses discriminations dont elles sont victimes de l’enfance à l’âge adulte. C’est dire que les efforts n’ont pas été poursuivis à l’image de la volonté politique.

Des efforts à soutenir

Toutefois, depuis quelques années, il y a un effort significatif qui a été consenti pour promouvoir l’alphabétisation et l’éducation dans nos langues nationales. Ainsi, le 24 juillet 1986, la loi n°86 AN-RM créait la direction nationale de l’alphabétisation fonctionnelle et de la linguistique appliquée (Dnafla). Elle avait pour mission d’assurer la promotion des langues retenues et de faire d’elles des outils de développement.

Le programme a permis la production de syllabaires, de dictionnaires, de lexiques, de brochures et manuels de formation dans les différentes langues retenues. Toutefois, la Dnafla n’a comblé toutes les attentes en matière d’alphabétisation.

Pour ce qui est de l’enseignement formel, il existe un certain nombre « d’écoles expérimentales » dans lesquelles l’instruction en langue nationale pour les trois premières années est une réalité. Enfin, on ne saurait oublier le mouvement Nko. Celui-ci encourage l’utilisation d’un alphabet Nko, un système d’écriture phonétique (s’écrivant de droite à gauche) capable de transcrire toutes les langues maliennes, en particulier les langues à tons.

En 2004, le Mali comptait plus de 8000 centres d’alphabétisation dans 6132 villages. Le nombre d’alphabétisés, sortis de ces centres, est officiellement évalué à 1,2 million de personnes. Il y a quelques années seulement, le taux d’alphabétisation au Mali oscillait autour de 30 %. Un taux relativement faible par rapport aux besoins exprimés. Cela doit exhorter les décideurs et les partenaires au développement à initier plus d’actions volontaristes et concrètes.

Comme le disait le président ATT, en avril 2004 au lancement officiel de la Décennie de l’alphabétisation à Missabougou (quartier périphérique de Bamako), « seule une promotion de l’éducation non formelle par la multiplication des centres d’alphabétisation et de formation (pour adultes, enfants de la rue, etc.) peut nous permettre de réaliser l’Education pour tous en 2015 ». Il lui reste aujourd’hui à concrétiser financièrement cet engagement politique en amenant le gouvernement à investir effectivement dans l’alphabétisation 3 % du budget de l’Education nationale.

Selon des ONG et de nombreux experts, c’est la condition sine qua non pour atteindre l’EPT et surtout faire de la Décennie, une période de lutte contre la pauvreté et d’autres fléaux comme le VIH/Sida et le paludisme. C’est aussi un gage de l’enracinement de la démocratie et de la citoyenneté.

Moussa Bolly

10 septembre 2007.