Le Mali est franchement un drôle de pays : un procureur agressé, pas une seule réaction officielle… et Bernard Kouchner qui arrive en territoire conquis, se permet de « savonner » ATT avant de repartir peinard.
L’histoire a d’abord commencé comme une folle rumeur dans les salons feutrés de Bamako la semaine passée : le procureur du Tribunal de première instance de la Commune III, Sombé Théra, par ailleurs magistrat en charge du pool anti-corruption, a été tabassé par des malfrats.
Selon les versions, il aurait été cerné par des voyous au niveau du stade du 26-Mars et sévèrement battu. La nouvelle a finalement été publiée dans les journaux et reprise par des radios de la place. Puisqu’elle n’a jamais été démentie, elle est donc fondée et devient une information d’intérêt public.
Au-delà de la sympathie pour mon cousin, une question se pose, une seule : dans quel pays sommes-nous ?
Que devient le Mali pour que des fripouilles osent attaquer et battre un procureur sans aucune réaction officielle ? Sombé Théra n’est pas le premier plouc venu des rues malfamées de Bamako, c’est un procureur de la République, bon sang ! Comment peut-on permettre qu’une telle personnalité soit agressée sur la place publique ? En tant que fonctionnaire chargé de la lutte contre la corruption, il devrait avoir des gardes du corps nuit et jour, c’est le minimum !
Mais non, le procureur est agressé et personne ne s’émeut. Il paraît pourtant qu’il y a dans ce pays, un ministre de la Justice qui répond à l’appellation Maharafa Traoré. Il paraît qu’il était prompt à phosphorer sur tout et rien à la télévision et que depuis l’affaire du code de la famille, il est devenu aphone.
Il paraît également qu’il y a une charmante dame dans le gouvernement de la République et elle a le titre de porte-parole.
Elle est muette en ce moment. Probablement sourde également puisqu’elle ne doit pas être au courant de toutes les interrogations des Maliennes et Maliens. Si quelqu’un connaît Mme Fatouamta Guindo, prière de lui demander de brancher sa radio ou de lire les journaux, il y a des choses importantes qui se passent dans son patelin.
Au-delà du silence entretenu par le gouvernement autour de l’agression de Sombé Théra, il y a lieu, par extension, de poser la question plus vaste de la gestion même de l’information et de l’intérêt public par nos autorités. La démocratie est un exercice qui exige de nos gouvernants transparence et vérité. Or, il se trouve que tous les sujets brûlants de l’heure, dans le domaine de la sécurité, sont entourés de mystère. Personne n’est sûr de savoir ce qui se passe.
Il y a deux semaines, des journaux maliens ou étrangers, des agences de presse, ont relaté la visite éclair de Bernard Kouchner à Bamako (il serait revenu encore dans la nuit du dimanche 14 février). Le ministre français des Affaires étrangères, ancien (pseudo) agitateur gauchiste, apprenti humanisant qui volait au secours de la Somalie avec ses sacs de riz et ses caméras, spécialiste des retournements de veste (griffée) et des changements d’allégeance politique serait venu « tancer » ATT et exiger la libération de l’otage Pierre Camatte, quitte à contraindre Bamako à élargir quatre terroristes embastillés sur notre territoire. Avant tout commentaire sur les demandes de l’ancien French Doctor, il convient de déplorer une chose : la faute d’ATT.
La moutarde monte au nez de voisins
Le président de la République est seul coupable de cette arrogance de Kouchner puisque c’est lui qui a cédé au chantage et à l’injonction de recevoir illico presto un simple ministre. Pensez seulement à l’inverse : Moctar Ouane débarquant en catastrophe à Paris, reçu prestement par Sarkozy qu’il se permet de passer au tordeur de boyaux. C’est un rêve que Moctar Ouane, même sans lunettes, ne caressera jamais.
Paris est le bailleur de fonds de Bamako n’est pas excuse pour piétiner les règles élémentaires de la convenance diplomatique. Pense-t-on sérieusement que Kouchner aurait pu avoir pareil aplomb en Guinée ou au Sénégal ? La seule fois qu’il s’est essayé avec Gbagbo en Côte d’Ivoire, il en a eu pour son matricule. Il n’aurait pas osé avec Blaise Compaoré ou Mamadou Tandja. Il se souvient sûrement d’IBK qui lui avait fermé la valve dans une histoire différente.
Maintenant, accessoirement, peut-on avoir une information du gouvernement malien sur le cas Pierre Camatte et sur la situation sécuritaire en général dans le Septentrion ? Y a-t-il eu oui ou non demande de la France de libérer des terroristes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique en échange d’un seul Français ? Quelle est la réaction du gouvernement du Mali face aux accusations de plus en plus insupportables de laxisme et de tolérance inexplicable face au banditisme à Tombouctou, Kidal et Gao ?
L’ancien otage canadien Robert Fowler, dans une interview au quotidien Globe & Mail de Toronto, a clairement dit que de hautes autorités maliennes sont en contact permanent et surtout par téléphone avec les ravisseurs du désert ; selon lui, le magot récolté lors des remises de rançons prend des directions bizarres qu’il s’appliquera à trouver un jour.
Nous pouvons mettre la montée de moutarde de nos voisins algériens sur le compte de la colère de dirigeants qui font face quotidiennement à des criminels et se sentent seuls, mais quand des pays comme le Canada, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas… commencent à soupçonner le Mali d’indulgence, voire de complicité passive dans la détérioration de la situation sécuritaire au Sahara, le moment devient crucial pour l’avenir de notre démocratie.
Il semble qu’au Mali, plus personne ne prend ses responsabilités. De manière plus directe, on ne sait plus qui s’occupe de quoi. Chacun fait ce qui lui plait, en toute impunité, l’État ne communique pas, ne sanctionne pas et laisse-aller.
Au bout, on se retrouve avec un assaut violent contre un procureur, précédée par celle d’un animateur de radio, dont les agresseurs n’ont jamais été inquiétés. On capture des otages, on les libère contre de fortes sommes et personne ne sait quelque chose. Pourtant, Baba Ould Cheikh, Malien bon teint et maire d’une localité proche de la Mauritanie donne des entrevues et se proclame « négociateur ».
Personne, dans les services de renseignements, n’a envie de le faire causer, un peu seulement. Histoire d’en savoir plus sur lui.
Au fait, petite parenthèse pour finir : où sont les défenseurs des droits de l’Homme ?
Depuis des mois, des bandits sans foi ni loi sèment la terreur à Bamako et ailleurs au Mali. Ils agressent, pillent, volent, violent et tuent des citoyens. Alors que ces associations de droits de l’Homme sont toujours promptes à s’émouvoir du sort des bandits, elles ne pipent mot du calvaire des honnêtes citoyens.
Manifestement, défendre les droits des honnêtes citoyens n’est pas rentable. Ou ne permet pas d’obtenir des fonds pour organiser des séminaires ou des colloques gnangnan.
Ousmane Sow
(journaliste, Montréal)
15 Février 2010.