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Dans l’incapacité de faire toute la lumière sur le réseau de faussaires qui a causé un préjudice à notre confrère Nouhoum Keita de la radio Kayira, en falsifiant son passeport, Koké Coulibaly, juge d’instruction au tribunal de la commune V du district de Bamako, a décidé hier de le jeter en prison. Sans ménagement et sans autre forme de procès, le magistrat l’a convoqué et mis sous mandat de dépôt.

Décidément, le Mali devient de jour en jour très inquiétant. Aucun citoyen dans ce pays n’est à l’abri d’abus de droit ou d’abus de pouvoir. Pratiquement chacun fait ce qui lui plaît, même si c’est au détriment de l’intérêt supérieur de la Nation. La mésaventure de notre confrère Nouhoun Keita de la radio Kayira, comme tant d’autres vécues par des Maliens anonymes, viennent confirmer nos assertions. Désormais, pour un oui ou pour un non, un juge de la République du Mali peut sans gène jeter un citoyen malien en prison. Nos juges ont la gâchette trop facile. Pour des raisons connues de tous, ils ont pris la désagréable habitude de transgresser un principe sacro-saint de la procédure pénale.

Sous d’autres cieux, la liberté du citoyen mis en cause est de rigueur, au Mali, nos magistrats, devenus dieux sur terre, ont érigé la détention en règle. Se moquant éperdument du principe de la présomption d’innocence, ils jettent en prison tous ceux qu’ils croisent sur leurs chemins dans les couloirs de nos tribunaux. Après, nous sommes surpris que nos prisons soient engorgées. Koké Coulibaly, jeune juge d’instruction est allé à bonne école. Dans sa gestion du dossier de Nouhoun Keita, il a préféré la mise sous mandat de dépôt, à une inculpation en le laissant en liberté. Mais, cela n’est pas surprenant, la liberté n’est plus de rigueur dans le système judiciaire malien.

Notre confrère dans une banale affaire de trafic de passeport, qui du reste lui cause un préjudice énorme, s’est retrouvé en prison. Le service chargé de distribuer la justice dans son pays, à travers son préposé, l’a voulu, bien que sa culpabilité ne soit pas établie. Les faits sont têtus.

Dans notre parution n° 2688 du jeudi 14 août 2008, sous le titre « Trafic de passeport : le journaliste victime, interpellé hier », nous avions pris la responsabilité d’informer nos lecteurs que Nouhoun Keita, journaliste à la radio Kayira qui s’estime victime, dans le trafic de son passeport, risquait de faire les frais de la procédure. Cet article faisait suite à un autre paru dans le Républicain n°2675 du 28 juillet 2008, sous le titre « Trafic de passeport: Un journaliste malien victime des faussaires ».

Dans cet article, nous avons écrit: « Le Passeport malien numéro A 1263469 délivré le 11 mai 2004, a deux titulaires. Le vrai titulaire serait Nouhoun Keita, journaliste à la radio Kayira et secrétaire à la communication du parti SADI. L’usurpateur, le faux titulaire, serait un certain Abdoulaye Sissoko qui se dit commerçant, mais qui serait un escroc dangereux. Ce passeport a la particularité d’appartenir à deux personnes différentes mais avec la même photographie, celle de Nouhoun Kéita. L’affaire du faux passeport qui serait au centre d’une escroquerie de 14, 8 millions de FCFA est au niveau du commissariat du 3ème arrondissement.

Et mieux, Nouhoun Kéita qui veut comprendre ce qui lui est arrivé a saisi le procureur de la République près le Tribunal de première instance de la commune II du district de Bamako d’une plainte pour faux et usage de faux ». Depuis sa plainte devant le procureur de la commune II, Nouhoun Keita ne ratait aucune occasion pour se plaindre du silence autour de son affaire. Malheureusement pour lui, contrairement à toute attente, au moment où sa plainte dort au tribunal de la commune II, c’est le commissariat du 4ème arrondissement qui le convoque. Selon des indiscrétions, le procureur du tribunal de la commune V aurait reçu une plainte avec constitution de partie civile contre notre confrère Nouhoun Keita.

Et c’est en exécution du soit transmis du procureur de la commune V que Nouhoun Keita a été convoqué au commissariat du 4ème arrondissement. Sans lui révéler le nom du plaignant, l’inspecteur Sissoko, en charge du dossier, n’a pas hésité a porter une accusation grave contre Nouhoun Keita. « Il m’a tout l’air que vous êtes complice dans cette affaire », a-t-il déclaré d’entrée de jeu. Et du coup, celui qui s’estime victime d’une situation à laquelle il n’a aucune explication devient le principal accusé.

Nous sommes tentés de nous demander qui a porté plainte contre Nouhoun Keita qui s’estime victime, pour que cette affaire déjà pendante devant le commissariat du 3ème arrondissement et dont le procureur de la commune II est saisi d’une plainte contre X pour faux et usage de faux, se trouve au commissariat du 4ème arrondissement.

Dans tous les cas, doutant de l’impartialité de l’inspecteur chargé du dossier au niveau du commissariat du 4ème arrondissement, Nouhoun Keita a saisi toutes les associations de défense des droits de l’Homme du Mali. Mieux, il a adressé une plainte contre l’inspecteur de police au niveau de la direction générale de la police malienne. A l’issue d’une confrontation, entre Nouhoun Keita et l’inspecteur de police, les contrôleurs généraux au niveau de l’inspection des services de police ont clairement signifié au journaliste qu’il était de loin impliqué dans la falsification de son passeport.

Avec toutes les excuses de la police malienne, le journaliste à été invité à aller vaquer à ses occupations quotidiennes, avec la ferme promesse que tout allait être mis en œuvre pour mettre la main sur les délinquants qui ne seraient pas à leur premier coup. Deux semaines après cette entrevue, avec des hauts responsables de la police malienne, quelle ne fut pas la surprise de notre confrère ! Convoqué par le juge d’instruction Koké Coulibaly du tribunal de la commune V, Nouhoum Keita sera jeté en prison sans ménagement comme un vulgaire bandit. « M. Keita, j’ai pas la certitude que tu sois le responsable de cet acte d’escroquerie.

Mais, je n’arrive pas à m’expliquer la présence d’une photocopie de passeport portant ta photographie dans le dossier. Pour cela, je me vois dans l’obligation de te mettre sous mandat de dépôt pour escroquerie », nous a rapporté Nouhoun Keita, quelques minutes avant son entrée dans la maison centrale d’arrêt de Bamako. La nouvelle de l’emprisonnement de Nouhoun Kéita, comme une traînée de poudre, a fait rapidement le tour de toutes les rédactions du Mali. Dans un acte de solidarité face à l’arbitraire et à l’injustice, les journalistes ont entrepris de taper à toutes les portes de décisions du pays afin que les autorités soient informés de ce qui venait d’arriver à leur confrère.

En plus d’être journaliste, Nouhoun Keita est le secrétaire à la communication du parti SADI. Dr Oumar Mariko, secrétaire général du parti et non moins député à l’Assemblée nationale, de son côté, s’est investi pour que le secrétaire à la communication de sa formation politique recouvre la liberté. Au moment où nous mettions sous presse la liberté provisoire proposée par les autorités n’était pas encore effective.

Rappel

Le vendredi 11 juillet 2008, aux environs de 17h30, Nouhoun Kéita reçoit à la radio Kayira la visite de Mahamoudou Touré, une connaissance de longue date qu’il a perdue de vue depuis bientôt dix ans. Après les salutations d’usage, Mahamoudou Touré, informe son hôte de l’objet de sa visite. « J’ai un partenaire d’affaire d’origine indienne, nommé Azeez Arambathickal qui serait par ailleurs Président de la chambre de commerce Indo Malgache, qui a été escroqué par des individus à hauteur de 14 800 000 FCFA.

Mon partenaire d’affaire, actuellement au Mali, m’a exhibé la photocopie d’un passeport censé appartenir à un certain Abdoulaye Sissoko. Mais, j’ai constaté sur le passeport que la photo était de toi, même si ton nom n’y figurait pas.

Et comme en plus d’être tous deux ressortissants de Kéniéba et promotionnaires d’école, j’ai décidé de venir t’informer de la situation », a-t-il indiqué. Avant d’exhiber la photocopie du passeport et d’informer son interlocuteur que le nommé Azeez Arambathical se trouvait à l’hôtel Nyuma Belleza à Bamako Coura. Surpris de voir sa photographie sur la photocopie du passeport, Nouhoun Keita a failli tomber en syncope.

« Comment cela est-t-il possible, ma photographie sur un passeport qui ne porte pas mon nom ? », s’est-t-il interrogé. Avant de constater que la photocopie du titre de voyage qu’il tenait en main n’avait rien de différent de son véritable passeport que le nom du titulaire, la date de naissance et la profession.

Toutes les autres caractéristiques du document étaient identiques. Face à la gravité de l’acte, il s’est fait immédiatement accompagner par Mahamadou Diarra, coordinateur du réseau de communication Kayira, pour aller rencontrer Azeez Arambathickal. C’est au cours de cette rencontre que l’Indien s’est rendu compte qu’il a été victime d’un réseau d’escroquerie bien huilé.

Muni de la photocopie du passeport, Mahamadou Diarra, montrant Nouhoun Keita à l’opérateur économique indien, lui demanda s’il le connaissait. Sa réponse ne se fit pas attendre.

Il répondit sans ambages qu’il ne l’avait jamais rencontré et ce n’était pas le nommé Abdoulaye Sissoko qui a fait l’intermédiation entre lui et un certain Alfa Koné. Dans un anglais approximatif, Nouhoun Keita s’est débrouillé pour expliquer à l’Indien qu’il n’était pas homme d’affaire, mais plutôt un journaliste à la radio Kayira. Il lui a révélé qu’à part le nom et le prénom, ainsi que la profession et l’année de naissance, tous les autres renseignements contenus dans le passeport correspondaient au vrai passeport qu’il détient lui-même depuis Mai 2004.

Après la rencontre avec l’Indien, face à l’extrême gravité de cette affaire, Nouhoun Keita, accompagné du coordinateur du réseau de communication Kayira, s’est rendu au commissariat du 3ème arrondissement pour porter l’affaire devant le commissaire.

Mahamoudou Touré et l’Indien ont été interpellés par la police qui les a libérés après les avoir entendus. Et depuis le 11 juillet 2008, l’affaire se trouvait au niveau du commissariat du troisième arrondissement pour les besoins d’enquête. Impatient, Nouhoun Keita souhaitait que toute la lumière soit faite sur cette affaire rocambolesque qui vient davantage ternir l’image des documents de voyages maliens.

Mais, avec la tournure que vient de prendre cette affaire avec le départ de Nouhoun Keita à la prison centrale de Bamako, nous doutons de la bonne volonté des autorités policières et judiciaires à vouloir tirer cette affaire au clair. Une bonne enquête permettrait de situer les responsabilités. Les responsables de la police ont toutes les informations : noms et numéros de téléphones de ceux qui ont arnaqué l’indien. Mais, au Mali, il est difficile de faire une bonne enquête et la solution de la facilité est la bienvenue et pour les inspecteurs chargés des enquêtes préliminaires et pour les juges d’instruction.

Sinon comment comprendre que la principale victime de cette histoire rocambolesque, soit l’accusé aux yeux du commissariat du 4ème arrondissement et du juge d’instruction de la commune V. Avec de telles dispositions, Nouhoun Keita doit se convaincre qu’il ne pourra jamais connaître, les vrais responsables de ce réseau de faussaires. Les services de l’administration malienne qui doivent faire la lumière sur des situations pareilles ont démissionné.

Assane Koné

18 Septembre 2008