L’actualité internationale est dominée depuis un certain temps par deux affaires complexes et marathoniennes dont l’une nationale et l’autre personnelle : la guerre en Libye et l’affaire DSK. Apparemment, ces deux crises n’ont aucun lien entre elles puisqu’elles ont cours dans deux pays situés aux antipodes du globe et distants de plus de 7800 km.
De quoi faire ignorer la petitesse de notre sphère terrestre. Pourtant, à y voir de près, l’arrestation du directeur général du Fonds monétaire international (FMI) et la guerre en Libye sont deux pièces d’un même puzzle : le jeu favori des apprentis analystes. La preuve ? Nul besoin d’aller la chercher loin. Le 26 mai 2011 dernier, une nouvelle page de l’histoire des finances mondiales devrait s’écrire à Deauville lors du sommet du G-8, avec en prime, la création d’une nouvelle monnaie de réserve internationale. Ce qui sonnerait le glas du dollar US, voire la fin de la suprématie financière des Etats-Unis d’Amérique.
Ce projet qu’incarnait DSK et soutenu principalement par la Chine devra attendre, car le fonctionnement de la machine du FMI a été enraillé depuis l’arrestation de son ancien DG et cela devra être ainsi jusqu’à l’élection d’un nouveau directeur général. Le débat est ainsi déplacé : au lieu de parler de la création de la nouvelle monnaie de réserve, on discute désormais des alliances à nouer en vue d’élire le successeur de DSK.
La stratégie est digne d’un film hollywoodien, mais il en va des intérêts de toute une nation : les Etats-Unis. Pour rappel, le projet de création d’une nouvelle monnaie de réserve a été initié par la Chine le 29 mars 2009 lorsque le gouverneur de la Banque centrale chinoise Zhou Xiaochuan a remis en cause la prédominance du dollar comme monnaie de réserve. Déplorant que le projet de l’économiste John Maynard Keynes de créer une monnaie internationale (le Bancor) n’ait pas été concrétisé à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, il proposa d’utiliser les droits de tirage spéciaux du FMI pour jouer ce rôle.
Cédant à la pression, les Etats-Unis acceptent un triplement des ressources du FMI et l’émission, par le FMI, de droits de tirages spéciaux (DTS) d’une valeur de 250 milliards de dollars, lors du sommet du G-20 à Londres, le 2 avril 2009. Ils acceptent également le principe d’un Conseil de stabilité financière auquels seront associés les grands Etats émergents. « Cette idée est discutée au sommet du G-8 à L’Aquila (Italie), le 8 juillet 2009.
Poussant le pion plus loin encore, la Russie proposa de ne pas se contenter d’une monnaie virtuelle, mais de l’éditer. Dimitri Medvedev, qui avait fait frapper symboliquement des prototypes de cette monnaie, posa quelques pièces sur la table. D’un côté y figuraient les visages des huit chefs d’Etat et de l’autre la devise en anglais ‘Unity in Diversity’ », souligne le « Réseau Voltaire » du 22 mai et du 11 juillet 2009.
Le projet est soumis aux experts de la division des affaires économiques et sociales de l’ONU. Leur rapport, auquel participe le Pr. Vladimir Popov de la New Economic School de Moscou, est étudié le 25 avril 2010 lors d’une réunion jointe du FMI et de la Banque mondiale. (Extraits du rapport « World Economic and Social Survey 2010 : Retooling Global Development »), par Christina Bodouroglou. Le processus devait donc aboutir au sommet du G-8 à Deauville (France). Le dollar aurait cessé d’être la monnaie de référence sur fond d’imminente cessation de paiement du gouvernement fédéral des Etats-Unis. Washington aurait renoncé au financement de son hyper puissance militaire par la dette pour se consacrer à sa restructuration interne.
Alors que s’est-il passé puisque les Américains semblaient œuvrer pour l’aboutissement du projet ? La réponse est ambiguë : soit durant les derniers mois de la finalisation du processus, des initiatives militaires et politiques ont bouleversé ce plan, soit Washington était de mauvaise foi et ses concessions ne visaient qu’à gagner du temps. Le coup de frein net et subit marqué par l’arrestation de DSK est en faveur de cette dernière hypothèse. Que vient faire la Libye dans tout ça ? Le Guide libyen a longtemps été critiqué pour ses positions anticolonialistes. Kadhafi a vite fait sien le projet de création d’une nouvelle monnaie de réserve.
Le dinar libyen est devenu ainsi la première monnaie au monde garantie en or et en droits de tirages spéciaux du FMI. Le dinar libyen, première (et dernière ?) monnaie au monde garantie en or et en droits de tirages spéciaux du FMI. En 2000, le colonel Kadhafi avait imaginé de créer une monnaie panafricaine basée sur l’or, mais il n’était pas parvenu à faire avancer son idée.
Aussi, en 2009, s’était-il spontanément emparé du projet Zhou et l’avait unilatéralement adopté pour son pays. Selon toute évidence, la Libye jouait un rôle capital pour l’aboutissement du projet « Zhou Xiaochuan » comme le mentionne un autre article du « Réseau Voltaire » des 22 avril et 2 mai 2011. « A titre expérimental, c’est la Banque centrale libyenne qui la première avait décidé de fonder sa monnaie, le dinar, sur l’or et au-delà sur les DTS.
La chose est d’autant plus importante que la Libye dispose d’un fond souverain parmi les mieux dotés du monde (il est même un peu plus riche que celui de la Russie). Selon nos contacts à Tripoli, au moment de son arrestation, DSK partait à Berlin pour trouver une solution avec la chancelière Angela Merkel. Il devait ensuite partir avec un émissaire de Mme Merkel négocier avec des représentants du colonel Kadhafi – voire avec lui directement –
La signature du Guide libyen étant indispensable au déblocage de la situation ». Or, en entrant en guerre contre la Libye, la France et le Royaume-Uni ont provoqué un gel théorique des avoirs non seulement de la famille Kadhafi, mais de l’Etat libyen. Pis, Paris et Londres ont dépêché des cadres de la banque HSBC à Benghazi pour créer une Banque centrale libyenne rebelle et tenter de s’emparer des avoirs nationaux.
Sans que l’on sache si Nicolas Sarkozy et David Cameron se sont laissés emporter par l’ivresse de leur force ou ont agi sur instruction de leurs mandants à Washington, le fragile édifice élaboré par Dominique Strauss-Kahn s’est effondré. Alors, jusqu’où ira cette guerre financière puisque c’est de cela qu’il s’agit ?
Une nation en feu, l’honneur d’un homme bafoué, la menace d’une recrudescence du terrorisme dans la bande sahélo-saharienne après Kadhafi, la frustration des pays émergents face à la suprématie occidentale et transatlantique… La liste est longue, mais décidément, les Etats-Unis et leurs alliés ne reculent devant rien pour parvenir à leurs fins : maintenir le dollar dans sa position d’élite pour en tirer le maximum de profit possible.
Bertrand Kéita
(ingénieur géologue à Bamako)
01 Juin 2011