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La médiation pénale initiée dans l’affaire Drissa Kéïta et autres, du nom de cet ancien PDG de la CMDT, fait aujourd’hui l’objet de beaucoup de commentaires et d’analyses juridiques.

Si au regard du rapport du médiateur en la matière, rapport d’ailleurs validé par le tribunal correctionnel de la Commune III du District de Bamako, les personnes inculpées dans cette affaire rocambolesque et leurs conseils affirment avec triomphalisme qu’elles ont été blanchies, certains avocats magistrats et professeurs de droit ont cependant une lecture et une interprétation différentes de cette nouvelle procédure introduite dans notre dispositif pénal à la faveur des dernières réformes législatives.

Selon eux, en effet, la voie de la médiation pénale empruntée par le procureur de la République près le tribunal de première instance de la Commune III du District de Bamako et non moins président du pôle économique et financier de Bamako, Sombé Théra «est un détournement de procédure». Et cela pour deux raisons très simples : les infractions pour lesquelles, il y a lieu à médiation pénale ne peuvent pas et ne doivent pas porter gravement atteinte à l’ordre public.

Ce sont des infractions qui touchent les intérêts privés, c’est-à-dire que les parties en cause ont la latitude de porter plainte ou pas. On pense que les parties peuvent renoncer à l’exercice de certains droits. Secundo, l’ancien PDG de la CMDT, Drissa Kéïta et autres ont été inculpés pour «atteinte aux biens publics». Une infraction financière qualifiée de crime par le Code pénal malien relevant donc de la compétence du pôle économique et financier.

Or, à l’analyse des dispositions du Code pénal, l’atteinte aux biens publics ne peut faire l’objet de médiation pénale. En effet, le délit d’infraction financière et économique porte atteinte à l’ordre public car concernant le détournement des impôts qui se situent au cœur même des finances publiques et de la souveraineté d’un Etat.

Selon un des ténors du barreau malien, en la matière donc, le procureur de la République ne peut pas engager de médiation pénale. Et d’ajouter ensuite que «certains crimes sont en dehors de la médiation pénale au terme des textes prévus dans le décret d’application du nouveau Code pénal».

Pour ce professeur de droit, assistant à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université du Mali, «on ne peut parler de médiation pénale qu’en rapport avec la mise en application de l‘action publique qui est de la compétence du procureur de la République».

Selon lui, la médiation pénale est conduite par le procureur de la République, chef du parquet, parce qu’il a la latitude de poursuivre ou de classer.

Mais, tiendra-t-il à préciser, «dès que le juge d’instruction a été saisi, que ce magistrat instructeur ait fait des actes de procédure, il n’est plus possible de proposer la médiation pénale».

Pour notre professeur de droit, le juge d’instruction peut décider soit d’un non-lieu, soit d’une ordonnance de renvoi. La procédure dépend de lui. Quant au procureur de la République, il n’est que partie au procès.

Et de conclure que «cette affaire Drissa Kéïta en instruction depuis longtemps ne pouvait pas faire l’objet de médiation pénale car c’est le juge d’instruction qui avait le contrôle de la procédure». C’est ce que l’article 87 du Code pénal stipule d’ailleurs clairement : «l’instruction préparatoire est obligatoire en matière de crime…». Il n’était donc plus possible techniquement d’engager une médiation pénale. De l’avis d’un éminent parquetier, dans cette affaire, on ne nous dit pas s’il y a non-lieu partiel. Curieusement, les cautions versées pour l’infraction poursuivie (100 millions pour certains opérateurs économiques, 15 millions pour Drissa Kéïta entre autres) ont été déclarées acquises à l’Etat.

Or, selon le même parquetier, s’ils étaient blancs comme neige, la caution aurait dû leur être versée.

Se plaçant dans la même position que son collègue Sombé Théra, notre parquetier nous fera savoir que selon les dispositions de l’article 8 dernier alinéa 4 «l’action publique peut en outre s’éteindre par transaction…».

Les parties peuvent transiger ou recourir à la médiation pénale. Quant à l’article 52 du Code pénal, il stipule que «le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations…». Donc en la matière, la loi est très claire : juridiquement la médiation pénale est illégale à ce stade de la procédure. A supposer même que le juge d’instruction rende une ordonnance de non-lieu partiel, indiqua le parquetier.

En tous les cas, dès l’instant qu’il y a une poursuite pour «atteinte aux biens publics», la médiation pénale n’était pas possible.

Conscient donc de tous ces éléments et en parquetier expérimenté, le procureur Sombé Théra pouvait-il se lancer ainsi dans une telle entreprise sans motivation réelle ? On peut en douter si on sait que dans son statut de parquet d’instance, sa décision pouvait être contestée par le parquet général près la Cour d’appel de Bamako. Pourquoi ce dernier n’a-t-il pas alors levé le petit doigt pour mettre fin à ce supposé banditisme juridique ?


La thèse du parquet de la Commune III

Après plusieurs tentatives infructueuses de joindre Sombé Théra lui-même, nous sommes finalement parvenus à avoir un début d’explication dans le choix de la médiation pénale dans cette affaire.

Selon notre interlocuteur qui est un proche du procureur de la République près le tribunal de première instance de la Commune III du District de Bamako, ce dernier lui aurait confié qu’il a choisi la voie de la médiation pénale dans l’affaire Drissa Kéïta parce que la procédure était mal engagée dès le départ.

Et qu’en cas de jugement, il était fort possible que l’Etat perde la face dans cette histoire. Toute chose qui jetterait le discrédit sur cette croisade contre la corruption et la délinquance financière.

Selon notre interlocuteur, c’est la raison pour laquelle Sombé Théra a opté pour la médiation pénale. Un bon arrangement qui a permis à chacune des parties de s’en tirer à bon compte.

Il a en effet été convenu entre les parties de classer définitivement ce dossier. L’Etat malien s’est engagé à renoncer à toutes poursuites judiciaires contre Drissa Kéïta et autres. Quant à ces derniers, ils ont accepté de renoncer volontairement aux cautions versées qui ont été déclarées acquises à l’Etat. Et surtout de n’engager aucune poursuite contre l’Etat par rapport aux dommages causés ou aux violations constatées.

Comme on peut le remarquer, pour une fois la lutte contre la corruption a fait l’objet d’un traitement politique, un traitement à tout point de vue illégal et contraire à la loi.


Birama Fall

12 Septembre 2008