Les Echos : Quelle est aujourd’hui la situation d’ensemble de l’hôtellerie au Mali ?
Adama Koly Coulibaly : Je souhaiterais dans un premier temps expliquer à mes concitoyens ce que c’est qu’un hôtel parce que j’ai le sentiment qu’ils ne sont pas suffisamment édifiés. Construire un hôtel relève d’un véritable parcours du combattant, l’endettement est lourd et c’est sur les court et long termes. Le retour sur investissement est lent compte tenu de l’environnement, les coûts fixes sont énormes (l’eau, l’électricité, les charges du personnel, les remboursements bancaires et les différentes taxes). Mais dès que l’œuvre pointe, beaucoup ont tendance à croire que le promoteur est plein aux as. Loin s’en faut. Il faut à peu près une décennie pour commencer à s’engranger les dividendes.
Cette perception n’est malheureusement pas partagée et souvent on a l’impression qu’on veut tuer la poule aux œufs d’or. Cette vision doit être partagée pour nous permettre non seulement de nous épanouir pour réinvestir ensuite et créer plus d’emplois, générer plus de ressources fiscales. Mais si déjà dès la première expérience, on est assailli de difficultés, on risque de céder au découragement et c’est ce qui arrive généralement.
Les Echos : Vous voulez dire que peu d’actions sont faites pour appuyer le secteur ?
A. K. C. : Disons que nous n’évoluons pas dans un environnement très propice. Le cas de notre pays impose une thérapie de choc. On ne doit plus faire semblant de gérer les problèmes. Il faut les prendre à bras le corps parce qu’on a accusé trop de retard.
Les Echos : Est-ce que vous avez attiré l’attention de vos partenaires sur les dangers qu’il y a à privilégier cette sorte d’amateurisme ?
A. K. C. : Nous avons toujours attiré l’attention sur les différents maux. La réponse se fait attendre et finalement on a l’impression qu’on nous traite de prédateurs, de gens qui veulent avoir tout de l’Etat. Cette analyse n’est pas la bonne, car je pense que l’une des missions d’un Etat, c’est d’accompagner les opérateurs qui veulent mouiller le maillot, qui veulent contribuer au développement socio-économique du pays.
C’est faute de soutien que nombre d’opérateurs sont en train de tomber dans l’informel. Ni vu, ni connu. Une situation dangereuse pour un pays parce que finalement ce sont les quelques entreprises formelles qui finiront par mettre la clé sous le paillasson. Quand on analyse en profondeur, l’entrepreneur malien ne bénéficie pas de toute l’attention qu’il mérite. On a comme l’impression que l’ambition que nous nourrissons pour notre pays constitue un crime.
Les Echos : Quels sont au juste les obstacles sur le chemin de l’entreprise au Mali ?
A. K. C. : Les obstacles sont multiples. Vous avez la qualité des ressources humaines, le cadre institutionnel, qui est en train d’être corrigé, les coûts de production qui sont énormes, un financement difficile dû à la nature des ressources de nos banques locales. A ce niveau, l’Etat doit s’impliquer pour mettre les ressources à la disposition des banques pour que nous puissions jouer notre partition, doter tout le territoire d’infrastructures hôtelières dignes de ce nom.
Les Echos : La Tunisie, le Maroc, le Kenya et dans une certaine mesure le Sénégal tirent des profits substantiels du tourisme. Faut-il pour autant reproduire leurs modèles ici ?
A. K. C. : Je pense qu’il n’y a pas de complexe à se faire à ce niveau. Ils ont réussi. Il n’y a pas de raison de refuser d’aller à leur école, aller savoir ce qui s’y passe et l’adapter à nos réalités. Il suffit de faire un tour dans des pays comme la Tunisie, le Maroc et même le Sénégal pour savoir que c’est un créneau porteur.
Les Echos : Quelle peut être la place du tourisme-hôtellerie bien pensé dans l’économie du pays ?
A. K. C. : Bien pensé, le secteur peut valablement occuper la 3e place après l’agriculture et l’or dans le développement de notre pays. A condition que l’on mette les moyens.
Les Echos : Quel rang occupe-t-il aujourd’hui ?
A. K. C. : Je ne saurai le dire. C’est quand même une chance pour notre pays pour qui sait toutes nos potentialités sur le plan culturel.
Les Echos : Comment se porte la Fédération des hôteliers, restaurateurs et promoteurs d’espace de loisirs ?
A. K. C. : La Fédération se porte très mal. Je n’arrive pas à mobiliser autour d’un idéal ; à savoir la sauvegarde de nos intérêts en vue de contribuer au développement de notre pays. Les gens ont tendance à agir de façon isolée, mais je pense que cette solution n’est pas durable. Ils pensent tout de suite tirer profit de la situation alors qu’il faut du temps pour récolter les dividendes. Je n’ai aucun problème particulier avec les uns et les autres. Au contraire, je suis un président respecté de tous et cela est dû à mon comportement de tous les jours. Ce comportement, c’est servir la cause de tous. Je n’ai jamais été pris à défaut et je prie le bon Dieu qu’Il me donne la force et la perspicacité nécessaires pour agir toujours dans le sens de l’intérêt général. Je souhaite donc que tous les opérateurs se retrouvent pour bâtir un secteur hôtelier dynamique et prospère. Il faut l’implication de tous. Nous le faisons pour notre avenir, pour les générations futures.
Les Echos : Comment, en tant que citoyen et élu communal, avez-vous vécu 2005 ?
A. K. C. : L’année 2005 a été une année très difficile. Son évocation déjà me donne la chair de poule. Je ne souhaite plus à notre pays une année comme celle-là. Dans l’ensemble, elle n’aura pas été belle. Cependant, il y a eu des intentions qui sont à noter : la volonté du chef de l’Etat de doter notre pays d’une agriculture moderne pour assurer la sécurité alimentaire, sa volonté de doter le pays de structures socio-sanitaires pour assurer une meilleure santé aux populations, sa volonté de doter notre pays d’infrastructures scolaires pour assurer une formation de qualité, sa détermination à doter notre pays d’infrastructures routières pour désenclaver le pays, sa détermination à lutter contre le Sida qui constitue un péril pour notre pays. Toutes ces actions entreprises concourent à la promotion de notre secteur de l’hôtellerie et du tourisme. Nous notons également sa détermination à électrifier nos différentes villes et surtout à baisser les tarifs d’eau et d’électricité. Mais sur ce dernier point, nous restons sur notre faim. Saur est parti, mais aucune nouvelle baisse n’est envisagée. Or, la compétition et la survie de nos entreprises en dépendent pour une large part.
En tant qu’élu, ma grande préoccupation reste l’assainissement et la situation est très grave. Le péril est grand pour notre pays qu’il faut assainir. A mon avis, après l’agriculture, la priorité doit aller à l’assainissement. Il faut doter les communes de moyens conséquents pour faire face au péril qui nous guette. En tant que citoyen également, je pense qu’il faut faire quelque chose dans le sens du changement de mentalité. Pour bâtir son pays, il faut l’aimer. Malheureusement, le moi est maintenant un peu trop exacerbé, les gens ne pensent qu’à eux-mêmes, la fibre patriotique à tendance de s’effilocher. A mon avis, notre culture ne se résume pas aux aspects uniquement folkloriques. Nos aînés se respectaient. Ils avaient le sens de la parole donnée, de l’honneur et de la dignité. Toutes valeurs qui sont aujourd’hui des denrées rares. Il faut donc restaurer cette culture.
Les Echos : Pensez-vous que 2006 sera meilleure ?
A. K. C. : Je souhaite ardemment qu’elle soit une année fructueuse pour l’ensemble du peuple malien, une année de paix, d’amour et de solidarité vraie.
Propos recueillis par
Abdoul Majid Thiam
06 janvier 2006.