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« La ville de Kidal depuis bientôt deux mois est asphyxiée sur le plan économique. Nous manquons de tout… », s’est plaint, Bilal Ag Mohamed, président du Conseil de cercle de Kidal avec un regard plein d’inquiétudes. En plus de cette crise, les bruits de canon d’hier ont fait sombrer la ville dans l’abîme.

Avant les événements d’hier, pour les populations de Kidal, deux événements majeurs seraient à la base de cette crise : l’ouverture du consulat Libyen le jeudi 9 février 2006 dans cette localité et la fermeture de la frontière algérienne. « Nous ne comprenons rien, officiellement, on nous dit que tout va bien, mais en réalité on constate que la frontière est fermée« , poursuit Bilal. En période ordinaire, la ville de Kidal a tout l’air d’un gros souk. On y trouve tous les produits d’origine maghrébine notamment de l’Algérie. Et d’ailleurs ironiquement, les populations qualifiaient l’Algérie comme étant le cordon ombilical de la capitale des Ifogas. Et pour preuve : elle assure presque 90 % des besoins de la ville sur tous les plans : carburants, vivres, gaz, articles d’électroménagers…

Aujourd’hui, selon un commerçant de Kidal, Mohamed Ag Mohamed, « la ville est au bord du gouffre« . Avant, témoigne-t-il : « nous avons entre 5 à 6 camions qui proviennent de l’Algérie par jour. Maintenant, nous n’avons qu’un camion par quinzaine et souvent par mois« . « Nous avons aujourd’hui 11 camions qui sont bloqués à la frontière« , révèle Bilal Ag Ousmane.

Pour les populations de Kidal, avec cette situation, c’est comme si la frontière est fermée. Et du coup, les prix des produits de première nécessité ont pris l’ascenseur. A titre d’illustration, le litre d’essence qui était vendu entre 400 et 500 F Cfa est revenu à 700 F Cfa ; le carton de lait qui était à 20 000 F Cfa est vendu à 23 500 F Cfa maintenant. Le sac de riz qui était vendu entre 12 000 et 13 000 F Cfa est aujourd’hui cédé à 36 000 F Cfa, renchérit à son tour Mme Fadimata Wallet Ibrahim, ménagère. Avant de poursuivre : « Si ça continue, nous allons tout droit vers une crise alimentaire« .

Pour les populations de Kidal, l’origine de leur misère est connue. ‘‘C’est l’ouverture du Consulat Libyen dans cette localité le jeudi 9 février 2006« . « Nous ne comprenons pas l’implantation d’un consulat dans une ville où il n’y a aucun ressortissant libyen« , s’indigne Ahmoud Yattara, un habitant de Kidal.

Aujourd’hui, les populations épiloguent encore sur le sujet : Pourquoi ce Consulat ? Que veut Kaddafi ? Quels seront les rapports entre les libyens et certains ex-chefs rebelles des Mouvements et Front Unifiés de l’Azawad ? La tentative de désertion dans les rangs de l’armée d’un ex-chef rebelle, le colonel Hassan Fagaga et ses velléités d’autonomie en mars 2006 ont fait craindre à la population le pire.

Un tour de la ville et du centre commercial nous a permis de comprendre l’ampleur du phénomène. Derrière les comptoirs, certains commerçants somnolent ; d’autres lisent le Coran ou prennent du thé en petits groupes sans se soucier des bruits des passants. Une commerçante qui effectue la ligne Gao-Kidal, Mme Bintou Maïga, a laissé éclater sa colère : « depuis deux mois, je n’arrive pas à livrer les commandes de mes clients en moquettes et en réfrigérateurs« . Comme beaucoup d’autres personnes, elle s’interroge : Pourquoi la frontière est fermée ?

Pour Ousmane Maïga, enseignant à Kidal, ce n’est pas une fermeture en tant que telle, mais une sanction algérienne, une façon de prouver aux maliens à travers la ville qu’elle peut faire mal… et surtout de montrer son mécontentement suite à l’ouverture du consulat de la Libye à Kidal.
Cette hypothèse est largement défendue à Kidal. « Nous appelons les autorités à renouer le contact avec les autorités de Kidal avant le début de l’hivernage… sinon ce sera la catastrophe« , a lancé Maïga en guise d’appel. Toute chose qui ressemble à un cri d’alarme. De détresse de toute une population qui est en train de panser les plaies d’une longue blessure… après la sécheresse et les différentes rebellions.

Au moment où nous mettons sous presse cet article, nous apprenons les tragiques événements survenus à Kidal.

Envoyé spécial Almahady Moustapha Cissé


Attaque de Kidal : le réveil des démons

Hier matin, avec stupeur les habitants de Kidal se sont réveillés sous un déluge de feux… la ville a été attaquée par des rebelles. Durant six heures d’horloge, des combats nourris ont opposé les forces de sécurité à des éléments lourdement armés autour des camps militaires N°1 et 2 de la ville. Difficile de tirer un bilan. Mais s’il avère déjà lourd de part et d’autre.


« Dans la nuit du lundi au mardi, les camps N°1 et 2 de Kidal – localité située à 1585 Km au Nord Est de Bamako – ont été attaqués par des éléments armés, aucune victime civile n’a été enregistrée
« , a annoncé en début de journée un communiqué du ministère malien de la défense.

Le communiqué du ministère de la Défense et des Anciens Combattants a par ailleurs révélé qu’un « officier du régiment de Ménaka a fait défection« . Selon nos informations, il s’agit d’un certain lieutenant colonel Ba Moussa. « La situation est préoccupante, mais on ne déplore aucune victime civile, a précisé le communiqué« .

Par contre, joint au téléphone, un responsable du gouvernorat de Kidal, a déclaré hier en fin d’après midi, qu’il y a eu des morts de part et d’autre. Et qu’il serait difficile de tirer un bilan. « Nous sommes terrés chez nous… il est difficile de dire ce qui se passe réellement dans la ville. Les combats ont duré de 5h à 11h, mais des tirs intermittents continuent« , a témoigné,

Alhousseini Coulibaly, chef d’antenne du programme d’appui au Système Educatif et Décentralisation (PASED) Kidal. Cette attaque serait orchestrée par le Colonel Hassan Fagaga, qui avait fait une tentative de désertion au mois de mars dernier, selon une source militaire qui a requis l’anonymat. « C’étaient des tirs à l’arme lourde suivis de rafales« , a renchérit un autre habitant de Kidal, Hamidou Diallo, qui a été joint au téléphone.

La ville de Ménaka, localité située à 327 km à l’est de Gao et à 400 km de Kidal, a également connu une forte désertion. En plus du chef de poste « des éléments rebelles ont pillé la caserne et ont pris armes et munitions« , a nous révélé un habitant de Ménaka, Rabah Yattara. Avant de poursuivre, « une grande panique règne en ce moment dans la ville« .

L’appel d’ATT à la nation A Diéma, en première région (Kayes), où il se trouve, le Président de la République, Amadou Toumani Touré, a réagi : « ce matin dans une autre contrée lointaine, à l’Adrar des Iforas et plus exactement dans la ville de Kidal, des éléments armés ont attaqué le poste militaire de cette localité« .

Craignant des représailles contre les populations tamacheks, le Président Amadou Toumani Touré, a lancé un appel : « Ceux qui ont aujourd’hui attaqué le poste militaire à Kidal ne doivent pas être confondus avec nos autres compatriotes, tamacheks et autres qui sont en train de vivre avec nous avec nos difficultés, qui ont choisi le Mali, qui ont choisi la loyauté et qui ont les mêmes droits que nous pour ce qui concerne notre pays« .

Déjà, des appels fusent de partout pour dénoncer cette attaque et se désolidariser de ces rebelles. Il s’agit de la communauté des arabes des régions du Nord, et des responsables des ex-mouvements et fronts unifiés de l’Azawad.

Selon le communiqué du ministre de la défense : « Les forces armées et de sécurité ont reçu mission et moyens nécessaires pour ramener rapidement le calme dans les dites localités« .

AMC


Attaques de deux garnisons : Kidal sous le feu

Deux garnissons militaires attaquées à Kidal, la désertion du chef de la garnison de Ménaka : ce sont là deux événements graves qui se sont produits dans la nuit du lundi 22 au mardi 23 mai. Qui sont les auteurs des attaques ? Quelle est la situation à Kidal et Ménaka ? Que veulent les assaillants ? Autant de questions posées.

Réponses. Surprise : le mot revenait sur toutes les lèvres hier, suite à l’attaque des deux garnisons militaires de Kidal et des incidents survenus presque au même moment à Ménaka. La première surprise passée, des informations souvent contradictoires d’une source à l’autre, sont tombées au fil de la journée.

Pour l’instant, des certitudes demeurent : l’attaque de Kidal a été menée par des ex-combattants appuyés par des intégrés en service à Kidal. Selon des sources militaires, toute l’opération a été organisée et planifiée par des hommes hors de la garnison. Ainsi, hier, aux environs de 2 heures du matin, les assaillants sont passés à l’action au moment où la première garnison était plongée dans la tranquillité de la nuit. Conformément à un plan, minutieusement exécuté, les assaillants prennent d’abord le contrôle des magasins d’armement.

Avec l’effet de surprise, l’opération se déroule conformément au plan. Au même moment, d’autres assaillants s’infiltrent dans le camp. Mais l’armée riposte. Au bout d’intenses combats, les assaillants ont fini par prendre le contrôle du camp dans la matinée, indiquent plusieurs sources. Ensuite, les assaillants ciblent le second camp.

Ils se rendent maîtres des lieux, après de durs combats. Hier, en début d’après-midi, une accalmie s’était progressivement installée, rapportent de nombreux témoignages. Cependant, après plusieurs tentatives, les assaillants n’ont pas réussi à prendre le contrôle de la garnison de la Garde nationale.

Les gardes et de nombreux militaires qui avaient quitté les camps militaires, ont organisé la résistance au niveau de la garnison de la Garde, indiquent nos sources. Face à la situation, des renforts militaires ont simultanément quitté les garnisons de Gao et de Mopti, hier dans la matinée, pour rallier Kidal. D’autres renforts mobilisés dans d’autres localités du Nord étaient signalés, hier après-midi.

Au même moment, la situation était confuse dans la ville. Et l’on signalait, quelques tirs, souvent à l’arme lourde, dans les environs des théâtres d’opération. Selon un officier supérieur, qui a gardé l’anonymat, la soirée d’hier s’avérait déterminante pour la suite des opérations. Selon notre interlocuteur, face à l’arrivée des renforts, les assaillants chercheraient probablement à se retirer de la ville, en emportant des armes, des munitions et même des engins.
Pour l’officier, il serait suicidaire pour eux de rester à Kidal. Alors, ils chercheront certainement à regagner les montagnes et à s’y réfugier.

A Ménaka, la situation était tout autre. Là, c’est le chef de la garnison militaire qui aurait contacté quelques intégrés fidèles à lui. Dans la nuit, cet officier du nom du lieutenant colonel Ba Moussa, un ex-combattant du MPA (Mouvement Populaire de l’Azawad) et ses hommes ont pu prendre le contrôle des magasins d’armement. Ils y dérobent des armes et des munitions. Tôt le matin, Ba Moussa et ses hommes, après avoir tiré des coups de feu, quittent Ménaka à bord de véhicules. Là, deux officiers intégrés restés fidèles à l’armée organisent la résistance.

Selon des informations non confirmées, un militaire a été blessé dans cette localité. Hier, Ménaka a reçu des renforts de l’armée et des forces de sécurité pour parer à toute attaque. Ailleurs, des informations faisaient état de mouvements à Ansongo et à Téssalit. Mais ces informations n’ont pas été confirmées. A Ansongo, un habitant contacté par nos soins a indiqué qu’aucun mouvement n’a été enregistré dans cette localité.

A Gao et Tombouctou, la surprise est partagée. Selon une source contactée à Gao, depuis une semaine, une certaine tension était perceptible dans la ville. Des patrouilles militaires étaient visibles. Mais, selon lui, rien ne laissait présager les événements de Kidal. Cependant, hier, un certain calme régnait à Gao et à Tombouctou. A Gao, une manifestation de protestation avait été programmée dans la matinée. Finalement la mairie s’y opposa.

Les auteurs ? Jusqu’ici aucune revendication n’a été posée par les assaillants. Ce qui est sûr, le mouvement n’engage nullement toute l’ex-rébellion. Selon un haut responsable des MFUA (Mouvements et fronts unifiés de l’Azawad) que nous avons contacté, tous les chefs de fractions des régions du Nord sont actuellement à Bamako. Motif ? Rassurer les autorités de leur engagement dans le Pacte national et la sauvegarde de l’unité nationale. Aussi, le vieux Intallah, notabilité et chef de tribu des Ifogas de Kidal, est actuellement dans la capitale pour des raisons de santé.

En vue de se démarquer des événements de Kidal, des chefs de l’ex-rébellion ont multiplié hier des consultations. Ils s’apprêtent à faire une déclaration pour condamner ce qui est arrivé, indique le responsable des MFUA. Aussi, l’on indique que même Ag Rhissa qui a été le dernier à déposer les armes, en 1993, et qui vit actuellement à Gao a manifesté son désaccord suite aux remous qui sévissaient dans certains milieux de l’ex-rébellion. Alors qui sont les auteurs ?

Hier encore, de lourds soupçons pesaient sur Iyad Ag Ghaly. Il est en effet soupçonné d’être à l’origine des troubles actuels. Initiateur de la rébellion de 1990, cet ex-colonel de la légion islamique évolue, depuis la signature du Pacte, dans la vie civile. Contrairement aux autres responsables des MFUA, Iyad se lança alors dans les affaires. L’homme, selon les mauvaises langues, était arrivé à monter des affaires plutôt basées sur la fraude et la contrebande entre le Mali et l’Algérie. Il s’était entouré d’une cour d’obligés et de fidèles issus de l’ex-rébellion.

A Kidal, Iyad, depuis la fin de la rébellion, régnait en maître absolu. D’aucuns affirment qu’il est le mentor du lieutenant-colonel Hassane Fagaga, cet officier de la Garde nationale qui s’agite depuis le début de l’année. Selon des sources, Iyad était à Bamako le vendredi dernier. Il aurait même été reçu par le chef de l’Etat. Mais, aucune information n’a filtré sur l’objet de cette rencontre. Et dès samedi, Iyad était introuvable dans la capitale. Finalement, avant-hier (lundi), après midi, l’ex-chef rebelle est arrivée à Kidal.

D’après une source, il aurait indiqué à certains proches qu’il n’avait rien obtenu à Bamako. Etait-ce un signal ? La coïncidence est troublante. Car c’est cette même nuit que les événements se sont précipités. Cependant, beaucoup d’interrogations demeurent sur le degré d’implication de Iyad. Car l’homme avait bénéficié de toutes mansuétudes des autorités. Il était devenu « un monument » entretenu et traité comme tel. Depuis le retour de la paix au Nord, il était, en effet, régulièrement sollicité pour tout ce qui touche à la stabilité au Nord.

En 1997, il était parmi les médiateurs qui sont intervenus dans l’affaire Ibrahim Bahanga, un ex-combattant qui s’était révolté en prenant en otage des agents de l’Etat. Dans la libération des otages européens enlevés par les Salafistes algériens, le même Iyad était parmi les médiateurs. Alors pourquoi se lancer dans une telle aventure ? s’interrogent plusieurs responsables de l’ex-rebellion résidant à Bamako. Facteurs multiples Même si l’on ignore les motivations profondes des auteurs, certaines pistes conduisent à cerner les événements de Kidal.

En effet, depuis des années, des rivalités existent entre la famille d’Intallah et un groupe dirigé par Iyad Ag Ghaly. Tous sont des Ifogas. En réalité, il s’agit d’un conflit interne entre les deux parties pour le leadership à Kidal. La famille du vieux chef Intallah est fortement contestée par Iyad et son groupe. Pour d’autres sources, il s’agit en fait, d’une manière pour Iyad de signifier sa « puissance » et sa dominance sur Kidal.

Des gens qui l’ont côtoyé estiment, par ailleurs, que les événements de Kidal procèdent d’une stratégie de l’ex-officier qui, en plus du pouvoir, veut créer des problèmes pour obtenir une manne financière des autorités. Il est abonné aux surenchères, dit-on. En plus de ces considérations, l’ouverture du consulat libyen à Kidal a exacerbé les rivalités, affirment de nombreux responsables. L’arrivée des libyens a aiguisé les appétits.

Chaque groupe rival estimait avoir plus de droits dans le partage du « gâteau libyen ». Et selon ce responsable des MFUA « ce qui se passe à Kidal est loin d’une nouvelle rébellion« . C’est un conflit d’intérêt qui se manifeste par des attaques contre l’armée et les symboles de l’Etat. Devant cette situation, notre interlocuteur estime que l’Etat a commis des erreurs en accordant « trop de faveurs à cette région« .

En effet Kidal est la seule région au Mali où les populations sont consultés dans la nomination et le choix de leur gouverneur. Ainsi il y a quelques mois, une coordination des ex-combattants a été créée dans la région.

Toutes choses qui font de Kidal une localité à part et bénéficiant de traitement spécial. Mais les démons de la violence étaient loin d’abandonner tous les esprits. Et pour preuve….

C H Sylla

24 mai 2006.