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Depuis le 21 mars 2012, le Mali a changé. Quel euphémisme, me dira-t-on. Le réveil matinal n’est plus le même, l’odeur du beignet de mil, froufrou, ne se sent plus, même l’air alourdit les têtes. Le sentiment de fierté d’être Malien en se réveillant les matins est parti. Pour de vrai. La joie de vivre, de construire un avenir, fonder un foyer sont devenus hypothétiques. Je ne cesse de le crier dans ma tête : mon pays s’est brisé. J’ai la rage.

Cette issue, je l’ai nettement aperçue de loin. Dès ce jour de juillet 2007 où des journalistes ont été arbitrairement arrêtés dans l’exercice de leur mission. Ma conscience politique naquit, d’autant plus, que très peu de personnes ont eu le courage de protester, de dénoncer les prémisses de l’injustice galopante au Mali.

Au fil des ans, le régime a pris les couleurs de la corruption, de la gestion clanique du pouvoir, de la calomnie et s’est transformé en marchand de rêves… mais l’heure n’est pas au procès ni aux règlements de comptes. Et, je m’en excuse, mais cette manière de se débarrasser d’ATT, m’a affecté par respect pour l’institution présidentielle, par égard pour le père et le grand-père qu’il est.

Avant d’ouvrir un nouveau chapitre, je tiens à dire que je pense aussi aux militaires. Le putsch, nul besoin de le rappeler, est une atteinte grave à la démocratie et à la République. Je le condamne fermement et je ne peux le cautionner à moins de deux mois de l’élection présidentielle même s’il était clairement prévisible. Le pays n’a pas été capable de mettre son armée dans les conditions pour défendre la nation.

Sur le front, les soldats manquaient de tout : équipements, munitions, nourritures, eau… pendant que des vautours détournaient l’argent qui leur était destiné. Pis, les familles des soldats tombés étaient en manque d’informations, souvent découvrant leurs enfants morts ou faits prisonniers à travers des photos ou à la télévision. Dans un tout autre registre, comment ne pas être sensible à la misère qui règne dans les casernes avec ses maisons en banco… ?

La presse et la société civile ont principalement dénoncé ces situations injustes, humiliantes mais le pouvoir, la majorité des partis politiques sont restés muets et incapables d’agir ou de faire agir l’exécutif avec les moyens de pression qui étaient les leurs. Ils ont déserté le front, ont laissé le navire à la dérive et n’ont eu pour objectifs que la campagne présidentielle.

Aujourd’hui, il faudra bien aller au-delà de nos différences, des accusations, des rancœurs, mais aussi des insultes, des violences, des injustices dont beaucoup d’entre-nous ont été victimes ces derniers jours. C’est à ce prix que nous serons en mesure de reconstruire ce pays, de gagner en humanité et de retrouver les valeurs sacrées qui font de nous de vrais hommes et femmes, qui font du Mali une terre de paix et de fierté. Il est important de nous retrouver, de dialoguer. Présentement tous les Maliens souffrent, cette souffrance se lit sur le visage de nos parents, de nos amis, de nos frères, de nos collègues.

D’une nation modèle, nous sommes devenus, je le dis sans hésiter, la honte de l’Afrique avec ces images terribles de coup de fusils dans les airs pendant des jours, de pillages de biens publics et privés. Nous sommes devenus en une matinée un Etat de non droit. Et les victimes collatérales sont nombreuses.

De victimes, de consciences, des camarades se perdent et se muent en bourreau. Il nous faudra nous donner la main pour combattre ceux qui véhiculent des messages de haine sur les radios, ceux qui montent des milices pour démolir physiquement leurs ennemis. Il faudra les dénoncer. Ils sont connus de tous. Il suffit de constituer un dossier pour les tribunaux en rassemblant les preuves de leurs forfaitures : messages d’insultes, passages à tabacs d’opposants, propos haineux sur les radios…

Ceci est ma méthode. En réalité, il en existe bien d’autres : braver la peur, crier, écrire sa douleur, prier, jeûner. De ce 21 mars, je vois aussi un peu de positif, ces pays alliés, unis derrière le Mali, mais aussi le peuple, les leaders politiques, les syndicats, les religieux, qui de jour et de nuit s’activent pour sortir le pays du chaos… et n’oublions pas les forces armées quelque soit leurs gallons qui mettent tout en œuvre pour protéger à nouveau les populations.

Je ne peux qu’avoir une pensée affectueuse et fraternelle pour tous ceux qui sont mobilisés sur les réseaux sociaux, Facebook, afin de donner des informations, orienter les blessés vers des centres de santé, indiquer des noms de médecins disponibles, de pharmacies ouvertes…

Donnons-nous la main pour redresser ce pays, donnons-nous la main pour retrouver ce qui avant était un acquis : l’hospitalité, la coopération internationale, la confiance des partenaires techniques, financiers, investisseurs. Aussi, restons soudés pour redonner espoir aux nombreux afro pessimistes parmi lesquels nos enfants, nos frères étudiants à l’étranger, les Maliens de la diaspora pour qu’un jour ils veuillent bien retourner au pays et s’abreuver de l’air plein d’espérance en foulant le sol du Maliba.

Engageons-nous à bâtir dès aujourd’hui une société sans discriminations de couleurs, ni de sexe ; une société sans corruption, sans clientélisme, sans griottisme ni culte de la personnalité. En un mot, une société basée sur la justice et l’équité sociale fidèle à la devise nationale : Un Peuple – Un But – Une Foi.

Cette nouvelle société devra garantir l’accès égal de tous aux logements sociaux, à la santé, à l’emploi, à l’éducation, à la nourriture… Ce n’est pas un homme qui fera ce travail, mais tout un peuple. Que chacun fasse son mea culpa, prenne un savon pour se laver l’âme et jurer de ne plus contribuer à la construction d’une République bananière.

Le retour à la normalité est loin, très loin mais gardons tous notre sang-froid, notre dignité face aux forces du mal. Que les insultes ne nous atteignent pas, que les coups ne nous intimident pas. Pensons aux martyrs de 1991, leur courage et leur unité doivent nous inspirer. Ils nous ont donné notre liberté et tâchons de la rendre éternelle. Ensemble, rien ne pourra nous résister.

Aussi tous mes vœux accompagnent le Mali.

Que triomphe la démocratie !

Que plus jamais, nous n’ayons honte d’être Maliens !

Que Dieu protège notre Faso Maliba !

Birama Konaré qui vous embrasse très fort. Ensemble pour toujours, pour le pire et pour le meilleur.

Birama Konaré

02 Avril 2012