Réunis dans la capitale politique du Royaume du Maroc, les 6 et 7 avril dernier, à l’initiative du gouvernement de ce pays appuyé par le PNUD, 45 pays africains ont décidé d’asseoir «une véritable coopération africaine» pour inverser les indicateurs négatifs du développement humain du continent. Ils ont appelé aussi les pays riches à assumer leur part de responsabilité, conformément aux engagements souscrits dans La Déclaration du Millénaire pour le Développement.
Léopold Sedar Senghor, le poète président du Sénégal soutient, dans son triptyque «Socialisme et Liberté» paru dans les décennies 60-70 que «l’homme est l’alpha et l’omega (le début et la fin) du développement». Il faudra attendre le milieu des années 90 pour que la communauté internationale revisite sa conception du développement et place désormais l’homme à l’amont et à l’aval de celui-ci : c’est l’homme qu’il faut d’abord développer, en satisfaisant ses besoins essentiels – eau potable, nourriture, santé, éducation, logement décent, environnement sain – en le transformant donc en agent actif et efficace de son propre développement pour qu’à son tour il développe sa société et son pays. Ainsi se trouve inversée l’approche traditionnelle qui mettait l’homme au service de l’économie et non l’économie au service de l’homme.
Dans cette nouvelle dynamique se tient au Caire, en Egypte, en 1994, la première Conférence Mondiale sur la Population et le Développement. Elle sera suivie, en 1995, du Sommet Mondial pour le Développement Social de Copenhague (Suède). La même année s’ouvre à Rome (Italie) le Sommet Mondial sur la sécurité alimentaire et à Beijing (Chine) la IVème Conférence des Nations Unies sur la femme.
Cette mobilisation internationale en faveur du développement humain, considéré comme le passage obligé du développement tout court, est couronnée par l’adoption à New York, en 2000, de la Déclaration du Millénaire pour le Développement. Elle rassemble, en un document unique, les objectifs que la communauté des nations s’impose pour satisfaire les besoins essentiels de l’homme et le mettre en situation de lutter efficacement pour sa propre promotion et celle de la société à laquelle il appartient.
Treize ans après le Caire et sept ans après New York, l’Afrique reste la lanterne rouge du monde. Elle possède les indicateurs humains les plus faibles. Ses populations sont les plus mal nourries, les plus mal soignées, les plus mal éduquées, les plus mal logées. Comment enrayer cette tendance négative ? Quelle part les Etats africains, les sociétés civiles, les opérateurs privés du continent peuvent prendre dans ce gigantesque challenge ? Quelle partition doivent jouer nos partenaires du Nord industrialisé et riche, la réalisation des Objectifs du Millénaire du Développement (OMD) étant «une œuvre commune» aux deux hémisphères de la planète ? C’est pour répondre à ces questions centrales et d’autres qu’elles suscitent que s’est déroulée à Rabat, capitale politique du Royaume du Maroc, les 6 et 7 avril dernier, la première Conférence Africaine sur le Développement Humain.
Le choix de cette ville n’est pas fortuit. L’initiative de la rencontre vient, en effet, du gouvernement marocain, qui n’a eu aucune peine à obtenir l’adhésion et l’appui du PNUD pour sa matérialisation. Et pour cause : le Maroc fait figure de modèle en matière de développement humain en Afrique.
L’initiative Nationale de Développement Humain (INDH) lancée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI – Il est si proche de sa population qu’il passe pour être «le roi le plus social» que le Maroc ait jamais eu – a créé une véritable petite révolution dans le pays. A travers elle, le Souverain a voulu s’attaquer à trois fléaux handicapants pour le développement de son pays : la précarité qui touche 2 % de la population urbaine dont 1,3 % de façon extrême, soit 200 000 personnes ; la pauvreté qui concerne 23 % de la population rurale vivant au-dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire ayant un revenu inférieur à 3 500 Dh (environ 230 000 FCFA) par personne et par an ; l’exclusion sociale frappant 700 000 ménages, soit 4 millions de personnes vivant dans des quartiers non réglementaires ou dans des bidonvilles.
Dans sa première phase (2006-10) l’INDH a mis en route quatre programmes prioritaires. Le premier porte sur la lutte contre la pauvreté en milieu rural. Il cible 360 communes rurales parmi les plus pauvres et vise à favoriser l’accès aux équipements sociaux, sanitaires et éducatifs de base ; la dynamisation du tissu économique local par des activités génératrices de revenus ; le soutien à l’action et l’animation sociale : alphabétisation, sport, prévention santé ; le renforcement de la gouvernance et des capacités locales.
Le second programme est destiné à circonscrire l’exclusion en milieu urbain. Il cible 250 quartiers parmi les plus défavorisés dans les grandes villes, à travers des besoins spécifiques à ce milieu.
Le troisième programme, qui vise à réduire la précarité, concerne 50 000 personnes en plus de celles déjà prises en charge dans les structures traditionnelles publiques et associatives. Il cible des jeunes sans abri, les enfants de la rue, les enfants abandonnés, les femmes en situation de grande précarité, les mendiants et les vagabonds, les ex-détenus sans ressources, les aliénés sans abri, les personnes handicapées sans ressources, les personnes âgées démunies. L’appui à la réinsertion familiale, sociale et économique, la formation et l’apprentissage, l’hébergement de durée variable, la prise en charge sanitaire, l’accueil dans des centres spécialisés sont des actions dévolues à cette catégorie de personnes. Le quatrième programme a un caractère transversal.
Le coût de l’INDH pour cette première phase est de 10 milliards de Dirhams (65 milliards et demi de FCFA) répartis entre le budget général de l’Etat (6 milliards de Dirhams) les collectivités locales (2 milliards de Dirhams) et la coopération internationale (2 milliards de Dirhams).
La Conférence de Rabat a regroupé 45 des 52 Etats africains et 20 pays et institutions partenaires de développement. Parmi celles-ci on notera, outre le PNUD, plusieurs organisations du système des Nations Unies (FAO, UNICEF, OMS, OIM, FNUAP) la Banque Africaine de Développement (BAD) la Banque Islamique de Développement (BID) la Banque mondiale et des associations de la société civile marocaine.
Elle a été sanctionnée par une Déclaration dite de Rabat dans laquelle les participants, se disant «préoccupés par le faible progrès enregistré dans la réalisation des Objectifs du Millenium pour le Développement et par l’insuffisance des ressources financières mobilisées pour leur mise en œuvre» rappellent la communauté internationale, les pays développés en particulier, aux engagements qu’ils ont souscrits «à soutenir les pays africains dans leurs efforts de développement, notamment par une augmentation de l’aide publique au développement, l’allègement de la dette et l’accroissement des investissements».
En outre, se déclarant «convaincus que la coopération Sud-Sud constitue un vecteur essentiel pour optimiser les potentialités et partager les compétences afin de promouvoir le développement humain de notre continent», ils «encouragent des partenariats interafricains entre les acteurs nationaux du développement humain en vue de partager les expériences et les expertises et créer des synergies nécessaires pour une meilleure utilisation des ressources».
Dans le même ordre d’idées, ils s’engagent à promouvoir des politiques économiques et sociales favorables aux couches les plus défavorisées en vue d’accroître leurs revenus et réduire leur pauvreté, notamment par la création et la diversification d’activités génératrices de revenus dans les zones enclavées et défavorisées.
Enfin, ils appellent à la mise à disposition du Fonds Mondial de Solidarité, créé par l’Assemblée Générale des Nations Unies, en décembre 2002, des financements nécessaires pour lui permettre de contribuer à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion dans les pays les plus pauvres.
Le Mali était représenté à cette première Conférence Africaine sur le Développement Humain de Rabat par le ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération internationale, Moctar Ouane et son homologue de la Promotion de la Femme, de l’Enfant et de la Famille, Mme Diallo M’Bodji Sène. A l’instar des autres délégués, ils ont présenté un état des lieux des actions du gouvernement malien en matière de développement humain.
Rendez-vous a été pris à Libreville, au Gabon, en 2009, pour la Deuxième Conférence Africaine de Développement Humain.
Saouti Labass HAIDARA
La vision de Sa Majesté
le Roi Mohammed VI
«Le développement humain qui, depuis le Sommet du Millénaire en 2000, figure en tête des priorités de la communauté internationale, constitue le moyen le plus indiqué pour associer toutes les populations du continent à la réalisation de la croissance économique et du progrès social dans leurs pays respectifs. Il est donc nécessaire de mettre en place des plans et des programmes de développement spécifiques, en fonction de leurs ressources propres et de leurs potentialités effectives. Ces plans et programmes doivent être focalisés sur l’éducation, la santé, la protection de l’environnement et la lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Ils doivent procéder d’une vision nationale, animée par l’idéal de solidarité sous jacent à nos traditions africaines et refléter, par ailleurs, une forte adhésion à nos objectifs communs, véhiculée et matérialisée par les mécanismes de coopération Sud Sud. Ces derniers ouvrent de vastes perspectives devant les pays d’Afrique, surtout en ces temps de groupements économiques, dictés par les contraintes de la mondialisation.
Nous avons, donc, placé le développement de la coopération Sud Sud en tête des priorités de notre politique étrangère, notamment en Afrique, et lui avons donné un contenu concret dans les domaines économique et social. C’est pourquoi, Nous nous sommes attaché, lors des visites successives que Nous avons effectuées dans des pays africains frères, à imprimer une nouvelle dynamique aux relations de coopération les liant au Maroc, en veillant à consolider la politique de proximité et de solidarité que nous suivons au niveau national.
A cet égard, Nous nous réjouissons des résultats positifs enregistrés, ainsi que des projets qui ont été réalisés dans le cadre des programmes de développement humain, selon cette approche participative qui favorise les échanges d’expériences et de savoir faire avec nos frères d’Afrique…
Cette conférence constitue, donc, un événement majeur, d’autant plus important qu’il traduit notre volonté commune de donner une forte impulsion à notre coopération régionale, en vue d’assurer le développement humain que nous appelons de nos voeux. C’est également l’occasion pour nos partenaires de la communauté internationale, notamment les pays du Nord, de renouveler leurs engagements et d’accélérer la mise en oeuvre des choix stratégiques qui ont été arrêtés pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement en Afrique, et pour apporter au problème de l’immigration, des solutions efficientes propres à préserver la dignité humaine et à garantir le progrès partagé et la sécurité globale pour tous».
16 avril 2007.